Maxime Charbonneau

Labyrinthe V : Le temple

Les feuilles d’automne qui tombent sont le reflet miroir de ma mélancolie. Alors que j’avance à reculons dans les méandres de la ville centre du Labyrinthe. Les alcools d’hier effacent les souvenirs tourmentés, ils effacent son visage de mon esprit. Je m’avance dans les couloirs qui mènent au palais de l’impératrice. Devant moi, deux gardes féminins entraînées pour tuer vos espérances les plus profondes se posent en gardienne du temple de l’oubli. Je n’avais jamais vue porte aussi grande que celle qui se trouvait devant moi. On m’avait informé que franchir cette porte était un point de non retour, que l’effet d’attraction du labyrinthe serait si fort que jamais plus je ne pourrais sortir du centre, que je terminerais ma vie dans une éternelle réflexion et que doucement, je perdrais le sens de toute réalité et même ma raison d’être.

Je tendis le triangle aux gardiennes de la porte. Elles affichaient le mépris de leur rang. J’affichais mon indifférence, l’invitation était valide, j’étais le seul invité de l’extérieur. Le seul assez fou pour accepter l’invitation de l’impératrice. La porte coulissa lentement.

Soudain, je fus pris de vertige. Les effets de la porte n’étaient pas ceux que j’attendais. Je vis une femme que je ne connaissais pas s’avancer vers moi. Je n’avais plus de passé, plus de futur. Je sentais mes connections nerveuses se détendre. Elle me fit signe de la main, je la suivis dans les corridors du labyrinthe intérieur. Ils étaient beaux, ornés de grands poèmes calligraphiés à l’encre de chine.

Nous arrivâmes à la porte de la salle de bal. Sur cette porte se déployait un poème écrit en lettre d’or :

Les ailes de l’ange de feu

Se posent sur mes yeux amoureux

Et je me dépose en larmes

D’amertume

Les ombrages de mes désirs

Qu’elle combat avec plaisir

Elle s’échappe de moi

Emportée par les feuilles d’automne

Dans ces arbres de soir je vois

Les miroirs de mes vadrouilles

Des éclats de verres m’embrouillent

Labyrinthe : Les triangles (IV)

Et il pleuvait à grosses gouttes sur la Capitale. La pluie coulait le long de la vitre sale de l’Hôtel des Morts-Lentes. Les dernières bougies des festins s’éteignaient et je ne savais pas depuis combien de temps j’étais ici. La déferlante des heures, des jours et peut-être même des années affectait mon jugement. Je n’avais jamais cru pouvoir rester figé dans un lieu aussi longtemps. La tristesse devant le vide qui m’entourait ne provoquait plus rien en moi. J’avais peur de commencer cette grande guerre, celle pour laquelle j’avais traversé le labyrinthe; maintenant que j’étais si près du but, je ne savais plus dans quel camp j’étais.

Sur le mur de ma chambre se trouvait une étrange œuvre d’art, signée d’une thématique qui s’ouvrait sur une grande question. Une œuvre d’un ancien collectif perdu et aspiré par le labyrinthe des années plus tôt. Je reconnus cette signature pour l’avoir déjà vue maintes fois en graffitis sur les murs : « Pourquoi jamais? » Soudain, je fus pris de vertige, je me trouvais en pleine nature dans une immense cabane de bois. Les chandelles étaient la seule source d’éclairage et dehors un violent orage battait les vitres du camp.

Franchir le dernier chemin, le feu qui brûle. Coulent, telle de la cire fondue, les verres de gin qui engluent les souvenirs. Les glaçons s’entrechoquent au fond du verre. Une cigarette s’éteint sur la dernière ligne écrite. Partir au loin faire la guerre dans un empire de sable mouvant. Embrasser un mannequin vedette de cinéma. Traverser la mer pour rencontrer un vendeur d’armes et devenir son ami. S’évader de la plus haute forteresse. La chandelle se consume et je me vois allumer un cierge dans un lointain monastère. Brûler les espérances, brûler les drapeaux, brûler les mots.

Quand je revins à moi dans la chambre, la chandelle brûlait déjà le tapis et progressivement les rideaux s’enflammèrent. L’Hôtel des Morts-Lentes ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Quelque chose m’avait enfin libéré de ce lieu maudit. Je revenais enfin à l’essentiel. Il était temps de passer à l’Est. Je me mis de nouveau en marche dans les rues de la Capitale. Lorsque je plongeai les mains dans mes poches, j’en sortis, étonné, une clé en forme de triangle.

– Lac Carré nuit du 25 mai

(Merci à mon père pour les idées et surtout la correction)

Le temps horloge

Frappe,
Une seconde et il était là.
Fraction d’espace, rencontre lumineuse.
Frappe,
Une minute de retard.
Sur le long de la fenêtre se touche une larme de pluie.
Grillage du temps sur la feuille de calcul des moments.
Elle se croise, il se pousse.
Revenir en arrière s’avère impossible, le prochain rendez-vous marquera l’heure.
Glissade des mécaniques qui roulent et s’effacent.
Frappe,
Elle était là, il n’y était plus.
Tristes fleurs en main.
Il s’évanouit en un souvenir de poudre d’argent.
Frappe,
Le sifflet du train se fait entendre au loin.
Partir là-bas d’une gare à l’autre.
Et espérer quelque part peut-être entre les astres.
Frappe,
Rien n’est plus comme avant, il n’y a plus de gare, plus d’espace, plus d’attente.
Tous vont si vite, se dit-elle.
Elle marche contre le vent,
Sa chevelure grise s’évapore dans la brume du matin.
Voilà maintenant soixante ans qu’elle attend,
Mais le train ne viendra jamais, la guerre est finie.

Texte : Maxime Charbonneau
Illustration : Mélissa Pilon

Eucalyptus

Saupoudré
D’eucalyptus emmitouflé
Dans des mitaines de vieux éternuées
L’homme aux mille regards
Se penche sur l’historique retard
Du mouvement pendule
Qui afflige le déplacement de ses courbes détendues
Origine précaire de classe laborieuse
Il ne saurait être autre chose que détonateur rieur
Huit cent douze contraintes éméchées
Le couvercle décadent explose en œuvres exposées
Sur le balcon des balbutiements
De son idéal tourmenté et dément
L’homme patient canne d’or en main
S’avance aux pas de l’oie
Et à son oreille dévoilée
Glisse des mots hautains
Des sons de bas quartiers
Des hérétiques idées

Être

Qu’il est dur d’être un homme dans ce pays.
Qu’il est dur d’être dans ce pays.
Ce soir le ciel m’aspire.
Je marche sur les étoiles.
Des fantômes s’approchent de moi.
Seul réconfort d’un soldat errant.
Que reste-t-il de moi?
Devant le vide céleste.
Ce soir je disparais dans les rues de la ville.
Que restera-t-il de moi?
De nous?

Labyrinthe : Le Prince

Le prince marchait dans la rue et les fidèles s’agenouillaient devant son humble présence. Il traversait de long en large la ville qui s’était faite si belle pour son arrivée. Il était l’homme de la situation et nul ne pouvait obscurcir son règne. J’étais témoin de son passage, incapable de comprendre comment il pouvait avoir régné si longtemps sur son peuple.

Le prince, d’un long mouvement d’épaule, rabattit sa cape, ce qui fit pour un instant briller le pommeau de son épée, legs de son père, souverain intemporel du royaume de l’oubli. Ici, il n’était pas question de changer quoi que ce soit. Le temps s’arrêtait pour les passagers des infinis. Il y avait des lustres que je marchais dans ses corridors sans fin. Le gouffre qui m’avait aspiré et m’avait emporté si creux au sein des couloirs que j’étais finalement arrivé au milieu de la capitale du royaume de l’oubli : Éternité.

Les bourgeois de la ville ne semblaient pas vouloir comprendre qu’au loin les murs du royaume s’effritaient dans de vastes mouvements de souffrance impitoyable. Alors que j’étais toujours fasciné par le passage du prince, j’eus une vision : son pas, son rythme, ses cheveux. Que pouvait-elle faire ici, celle-là même, raison de ma perte.

Le prince se baissa et d’un geste élégant lui fit signe de bien vouloir lui faire l’honneur de se joindre au long convoi de sa puissance. D’un mouvement gracieux, lent et majestueux, elle honora le prince et grimpa sur le carrosse royal. Délicieusement, elle déposa un baiser sur ses lèvres. Je le reconnus enfin. C’était une vision impossible. Que pouvait-il faire ici, lui aussi, mon si cher ennemi?

Il y avait si longtemps que je le combattais, que pour se défaire de moi, il avait dû m’envoyer aux confins du royaume dans l’endroit le plus sordide et le plus vil du labyrinthe. Que pouvait-elle bien faire avec lui?

Je pris une chambre à l’Hôtel des Morlentes où l’odeur du hasch n’arrivait pas à couvrir celle des nuits trop courtes au service de nymphes qui ne vous laissent jamais repartir. Mon malheur était ma seule protection. Il semblait bien qu’aucune d’elles ne pouvait m’approcher, ne pouvant pas supporter toute cette mélancolie

Labyrinthe la suite

Labyrinthe partie II

 Au cœur du labyrinthe, nous trouvons toujours les mêmes choses. Un regard oublié, une main qui s’efface, un baisé sans lendemain. J’ai découvert le sens profond des mélancolies qui tracent un pli sur son visage. Je me noie dans mes pensées carbonisées par le mépris des paroles prononcées comme un réflexe. Je t’aime, saccade ma souffrance. Martèle mon propre oubli. J’entends les lettres qui se typographient sur le vent de ses lèvres.

Nous serons contre le monde à jamais. Il n’y a plus de monde, il n’y a que le silence du vent qui tournoie.

Sur un banc dans un couloir gravé de graffitis d’artistes héroïnomanes, je regarde le temps qui s’écoule sur le sablier de l’homme aux mille regrets. L’accès se referme sur moi. J’entrevois, au loin, le baiser volé dans la nuit. Il s’évanouit, il coule sur le temps comme la crème glacée sur ses lèvres. Il devient irréel. Les larmes sèchent sur ma peau qui brûle d’amers doutes. Je suis rempli d’incertitude qui violace mon avenir. Le dessin des fantômes du néant amoureux s’affiche sur les rebords du corridor.

L’asphalte chaud transperce les semelles de mes bottes. Je marche en insomniaque. Je ne ris plus. J’effectue une boucle sur moi-même. Je suis flottant, je dérive sans autre idée que celle de m’évanouir dans les ombres. Mon cœur s’emplit d’une tristesse sans fin. Le labyrinthe m’absorbe. J’entends au loin les pas d’une sentinelle. Il semble donner desordres.

Soudain l’eau monte, torrent d’amertume grise. Elle monte aux chevilles des indolences. Elle se fiche de la présence d’êtres sur son chemin. Elle monte, elle m’aspire vers le fond. Elle est chaude, très chaude, elle bout de ma déchéance. Je dois maintenant me débattre, elle m’emporte vers un long tunnel circulaire.

Temps

Le temps qui sombre
Dans les ténébres
Avalé par les araignées
Tout évaporé
Par les idées
Dévastées
 
S’étale le long de la bordure
Comme de la confiture
Couleur sang verdure
Des arbres qui acceuillent
Les supplices éceuillent
 
Les fées ne sont plus qu’illusions
Une illustre perversion
Des sentinelles imaginations
Des sens perdus déconfits
Au milieu des convives surpris

L’ordre du jour

L’ordre du jour

Il nous faut de l’ordre ordonné

Messieurs les gendarmes

Il faut passer les rebelles aux armes

Ordre est donné d’obéir

L’obligation en finir

Dans l’ordre des nobles notables

Passent sur les rues droites

Droiture et pourriture

Ne feront jamais bon ménage

Honorables personnages

Sonnons les cloches

Pour vider cette poche

De résistance

Persistante

Ennuyante

Énervante

Ordre, au pas militaire

Ordre, au pas disciplinaire

Ordre, Ordonné

Feu à volonté

Rédemption

Rédemption au cœur de la fournaise des voleurs qui passent au galop sur de grands chevaux. Comme les sentiments qui explosent dans des compartiments. Tu ne tueras point, disait-il du haut des chaires de l’Église! Valeurs et morales des bons sentiments. Quand le sourire qui masque son mensonge se trace sur la peau, de suaves allégories envahissent mon cerveau en état carbonique. Je m’étire au passage bucolique. J’attends encore les bonnes paroles qui tournoient tels des vautours dans mes oreilles saoules. J’avale les rengaines de bourgeois affreux qui s’offrent un condo en boîte de conserve, au prix des souffrances quotidiennes. Je pense à l’imbécile qui court après la réussite sociale, que je ne comprends pas. J’assiste seul, en arrière-fond grisard, à un départ canon au nom de la nouveauté, des fonctions nouvelles que lui offre son corps plus rapide et plus chantant que mes éternelles réflexions, sur un globe qui tourne de plus en plus en boucle dans une dérive que je ne cherche plus à justifier.

J’offre la rédemption aux âmes qui s’affligent de douleurs d’avoir trop essayé de se faire croire qu’il pouvait quitter les lieux. La quête de rédemption, l’absolutisme judéo-chrétien, dans toute sa splendeur. Tu ne commettras point l’adultère dit l’homme à cette jeune fille encore vierge qu’il s’était payée à prix d’or. Les organes du sinistre ministre explosent au sein même de sa pensée. Elle n’existe plus, lueur du passé au fond d’un regard qui se vide dans l’oubli.

J’offre la rédemption, dans un paquet de cigarettes que crachent les poumons de la serveuse du drive-in cheap du coin de la rue Ste-Catherine. J’offre la finalité dans le bourdonnement de la pipe à eau où gazouille le bruit du hasch qui se consume. Tu ne voleras point l’âme des personnes qui s’affichent devant ton tribunal; sentence à vie pour les pécheurs de la douleur qui se distribue au son des cloches lointaines.

Que serait-il sans moi? Pour leur rappeler l’immense vide qu’ils se targuent pourtant d’ignorer. Le vide céleste des étoiles avale toute cette merde, cette révolution qui n’est plus qu’un lieu commun, cette bêtise de croire que l’Homme pourrait être chose que l’homme. J’offre la rédemption. Tu te trompes de cible, j’offre toute ma délicatesse pour faire souffrir la chair, car de la souffrance naîtra une jouissance; abandonne ton sens, ta recherche de sécurité lassante, tu n’es pas l’œuvre de Dieu. Dieu est loin, très loin d’ici. J’offre la rédemption au fond d’une bouteille de gin qui s’étale vide sur le plancher de danse.

Rédemption! Rédemption! Ah! ah! ah! Foutaise, tu le sais bien. Cette pente n’a pas de fin, cesse d’avoir peur…