Labyrinthe : Le Prince

Le prince marchait dans la rue et les fidèles s’agenouillaient devant son humble présence. Il traversait de long en large la ville qui s’était faite si belle pour son arrivée. Il était l’homme de la situation et nul ne pouvait obscurcir son règne. J’étais témoin de son passage, incapable de comprendre comment il pouvait avoir régné si longtemps sur son peuple.

Le prince, d’un long mouvement d’épaule, rabattit sa cape, ce qui fit pour un instant briller le pommeau de son épée, legs de son père, souverain intemporel du royaume de l’oubli. Ici, il n’était pas question de changer quoi que ce soit. Le temps s’arrêtait pour les passagers des infinis. Il y avait des lustres que je marchais dans ses corridors sans fin. Le gouffre qui m’avait aspiré et m’avait emporté si creux au sein des couloirs que j’étais finalement arrivé au milieu de la capitale du royaume de l’oubli : Éternité.

Les bourgeois de la ville ne semblaient pas vouloir comprendre qu’au loin les murs du royaume s’effritaient dans de vastes mouvements de souffrance impitoyable. Alors que j’étais toujours fasciné par le passage du prince, j’eus une vision : son pas, son rythme, ses cheveux. Que pouvait-elle faire ici, celle-là même, raison de ma perte.

Le prince se baissa et d’un geste élégant lui fit signe de bien vouloir lui faire l’honneur de se joindre au long convoi de sa puissance. D’un mouvement gracieux, lent et majestueux, elle honora le prince et grimpa sur le carrosse royal. Délicieusement, elle déposa un baiser sur ses lèvres. Je le reconnus enfin. C’était une vision impossible. Que pouvait-il faire ici, lui aussi, mon si cher ennemi?

Il y avait si longtemps que je le combattais, que pour se défaire de moi, il avait dû m’envoyer aux confins du royaume dans l’endroit le plus sordide et le plus vil du labyrinthe. Que pouvait-elle bien faire avec lui?

Je pris une chambre à l’Hôtel des Morlentes où l’odeur du hasch n’arrivait pas à couvrir celle des nuits trop courtes au service de nymphes qui ne vous laissent jamais repartir. Mon malheur était ma seule protection. Il semblait bien qu’aucune d’elles ne pouvait m’approcher, ne pouvant pas supporter toute cette mélancolie