Labyrinthe

Labyrinthe X (Le sens des mots)

Lorsque tu ouvres les yeux après un autre moment d’absence, tu es complètement perdu au sein d’une forêt. Une nouvelle fois, la matrice des murs du Labyrinthe s’amuse à t’éloigner de ton objectif. Devant toi, cachée derrière de longues et de grandes lanières d’herbes, se trouve une porte de bois. Le palais est désert. La végétation abondante. Il y a des lustres que personne n’est venu ici. Le temps présent n’est plus celui d’autrefois. Tu ne comprends plus si c’est l’Avaleuse ou toi-même qui s’interpose. La gare n’est plus. Le Labyrinthe habille. Il n’y a plus de clé, plus d’invitation et aucun souffle de vent ne vient atténuer la chaleur des lieux. Dans les dimensions des possibles du Labyrinthe, il est un lieu où le Labyrinthe lui-même n’existe plus ; une sorte d’abris, un temps où les choses s’immobilisent. Dans cet endroit, tu crois pouvoir retrouver le bal et enfin tenir cette rencontre capitale qui te permettra de sortir du Labyrinthe. 

Les longues vignes qui couvrent la porte produisent du vin pour les régions du Haut au sud. Le vin des abricots se carbonise au son de la musique. La carbonisation, comme seule solution au déclin des espérances ; douce mélancolie qui enlace de son châle de noirceur chaque seconde du temps qui passe. Les pulsions des cœurs qui s’effritent, chaque désir qui s’essouffle, chaque histoire qui s’efface devant toi t’emplissent d’une tristesse que te transmet directement la ligne du temps et des espoirs perdus.

Sur la porte, une inscription demande une réponse simple. Une seule phrase : où allez-vous ? J’allais au bal, mais est-il terminé ? La porte ne semble pas avoir la capacité d’agir à la suite d’une question. Elle s’interroge puis constate qu’il s’agit bien d’une réponse même si cette réponse porte en elle-même le doute. Lentement, les pentures grincent et la porte s’ouvre sur un monde différent. Le bal n’est plus, le château non plus, mais de l’autre côté, un majordome t’accueille, un verre sertit d’or à la main. Le majordome est grand. Il ne porte pas de chandail et ses longs cheveux blancs signent son dos. Il porte un pantalon blanc taché de poussière. Tu t’attendais à voir la salle de bal, mais il n’y a pas de murs. Tu traverses un long boisé bordé de saules pleureurs. Tout au long de ce parcours, le chemin devient de plus en plus étroit.

Le majordome s’arrête. Devant toi, un cocher endormi monte la garde sur une vieille diligence. Le cocher te demande si tu as une invitation. Tu lui donnes le triangle qui vient de se matérialiser dans ta main, alors que tu le croyais perdu. Le cocher semblait s’attendre à devoir te refuser le voyage, il parait contrarié. Arrive soudain d’un pas élancé la marquise du Haut au sud. Elle est accompagnée de sa cour de serviteurs. Elle a l’air lasse et les explications du cocher sur ta présence l’exaspèrent au plus haut point. Elle devait faire le voyage seule dans la diligence avec sa demoiselle d’honneur. Celle-ci devra même la suivre à pied avec les autres serviteurs. Derrière toi, tu constates que les saules pleureurs déposent de vraies larmes de pluie avant de disparaître sous des torrents d’eau. Tu reconnais le souffle de l’eau qui frappe. Il s’agit d’un torrent de malheur sans fin. Le cocher frappe d’un coup sec les chevaux. Il est temps de se rendre là où dorénavant le bal se cache. Existe-t-il vraiment une porte de sortie ou s’agit-il d’un autre piège ? Que restera-t-il des mots quand ceux-ci disparaîtront dans le ventre sans fin de l’Avaleuse ? Que signifie vraiment le sens des mots si les lettres peuvent se désagréger et être dévorées sans pitié ?

(Merci à mon père pour la correction)

Le Train (Labyrinthe Chapitre IX)

Tu regardes les paysages. Tu regardes les passages à niveau. Tu te perds dans les épinettes enneigées. Les flottements de la zone lente et poussiéreuse que tu traverses s’éternisent. Tu comptes les espaces secondes qui s’écoulent. Tu te demandes comment ce train peut faire pour ne jamais arriver en gare. Il roule avec toi à son bord. Il n’y a pas plus d’autres passagers. Il n’y a plus personne qui assure le service de bar. Aucune hôtesse à l’horizon. Il n’y a plus de sécurité entre les wagons. Tu ne sais plus quand tu as pris ce train. Tu marches vers l’avant, tu traverses un long wagon restaurant. Sur les murs, tu vois la tête d’un chef. Tu le connais. Tu l’as vu la dernière fois dans son grand restaurant sur Magnificient Mile à Chicago. Tu aurais bien mangé quelques morceaux, mais les assiettes sont vides. Ton festin serait-il terminé ? Puis, tu croises le contrôleur. Tu te demandes alors si tu as bien acheté un billet. Tu ne t’en souviens plus. Tu fouilles dans la poche droite de ton long manteau de laine usé. Tu sors finalement un billet en forme de triangle. Une invitation pour le bal. Tu ignores ce qu’il fait là. Une odeur de fumée te monte soudainement au nez.

Le train à vapeur ralentit à l’approche d’un tunnel. La dernière épinette disparaît remplacée par un grand couloir de granite. Les pierres sont ornées de grandes fresques multicolores. Tu reconnais l’œuvre, mais tu ne t’en souviens plus clairement. Portant, tu connais l’artiste. Dans ta vie, avant, il y avait des galeries d’art, des fêtes et des anniversaires où tu ne connaissais personne. Le contrôleur marque son impatience en hochant légèrement la tête. Coincé, plutôt collé, tu aperçois enfin le billet de train. Il est chaud. Il vient de se matérialiser devant toi. Le destin imprègne d’encre noire sa fatalité. Le contrôleur te laisse finalement passer et disparaît vers un autre wagon. Tu te demandes pourquoi puisque tu es le seul passager. Le train accélère. Il s’enfonce dans le tunnel puis chaque wagon ressort lentement du gouffre. De l’autre côté s’allongent les grands bâtiments de la Capitale du Labyrinthe. Le train approche de la gare du Sud. Cette gare aux mille fresques, tu l’as arpentée bien souvent. Tu attendais un départ. Ou peut-être une arrivée. Tu ne sais plus trop. Tu découvres, surpris, une foule immense qui descend du train. Tu te souviens pourtant de l’avoir vu vide. Tu constates que tes moments d’absences transportent parfois tes souvenirs ou tes pensées beaucoup plus loin que tu ne peux l’imaginer. Cette fois, tu as bien l’intention de ne plus laisser les murs t’étouffer. Tu sais que chaque seconde compte. Et si chaque pas te rapproche de la salle de bal, tu es sûr qu’une fois dans cette salle, quand la musique s’arrêtera de nouveau, tu sauras très bien ce que tu auras à faire cette fois-ci !

(Merci à mon père pour la correction et les idées)

L’avaleuse (Labyrinthe VIII)

Et dans un moment de flottement entre deux temps, je descendis l’escalier. Ce dernier semblait étrangement mou et difforme. Lorsque j’arrivai au bout des marches avec la plus grande difficulté un gouffre s’ouvrit devant moi, la musique qui émanait de la salle de bal s’arrêta. Les colonnes de la pièce se mirent à fondre. L’impératrice était là. Elle n’avait plus sa forme normale. La foule des convives était en état de panique. Pour la première fois, les lois de l’équilibre du Labyrinthe semblaient être déstabilisées. La forme sans âme de l’impératrice avançait vers moi.

Le gouffre s’agrandit, le temple fut bientôt absorbé et les débris remplacés par un champ de fleurs fanées, d’arbres calcinés et de rochers usés par le temps. L’impératrice s’était transformée et le labyrinthe se consumait. L’impératrice était devenue une avaleuse. Elle avalait toutes les parcelles des bonheurs, toutes les joies, toutes les peines, toutes les passions, et ce, jusqu’au dernier mot d’amour.

Les pensées de ma tête s’évaporaient. Les nuages devenaient pourpres, marron, jaunes et noirs; terriblement noire.

Le Labyrinthe ne tolérait pas cette résistance. Il ne pouvait concevoir qu’un esprit, prisonnier de sa personne, puisse se rebeller contre sa fonction de prison éternelle. Le passage que j’avais ouvert n’était pas son œuvre, c’était la mienne. Alors, il déployait son arme favorite et était prêt à sacrifier l’ensemble des habitants pour assouvir sa soif d’autorité. L’avaleuse s’attaqua à la lumière, je ne ressentais plus rien. La passion violente s’évaporait en bruine du matin des rosées.

L’avaleuse n’avait aucune pitié, elle avait un ego sans fin et servait le Labyrinthe. Je me demandai si je n’aurais pas mieux fait d’accepter mon sort et de longer sans fin les corridors du Labyrinthe. On m’avait avisé de ne pas me rendre au centre. L’avaleuse s’attaquait maintenant aux mots qui composaient mon cerveau. Soudain, dans ma poche le triangle d’invitation s’activa…

Le Passage (Labyrinthe VII)

Et j’ouvris les yeux pour découvrir un espace hors du temps où tournoyaient les ombres violacées de la nuit en disparaissant rapidement à l’horizon. Dans ce lieu, d’un blanc immaculé, il n’y avait plus de murs, plus de salles, plus de palais, plus de temps. Même la cité avait disparu. Mes pupilles s’émerveillaient devant cette absence de contraste. Un faisceau lumineux éclaira mon visage, s’enfonça dans mon esprit et les certitudes des réalités multiples se matérialisèrent devant moi.

Le vent s’emporta, d’abord brouillon, puis de plus en plus fort, jusqu’à balayer la fondation des équations. Hors du temps, je naviguais comme un marin perdu au cœur d’une tempête sans trop savoir où se cachaient les récifs bucoliques.

Et puis rien, juste le vide et une pièce qui se précise. Un ovale, une chaise et des bruits d’enfants qui riaient autour de moi, mais je ne voyais aucune âme. Dans les séjours perdus aux îles souvenirs de jadis, il ne restait que des éclats d’images qui s’affichaient sur les blancheurs des astres qui m’entouraient. Lorsque l’on traverse hors du temps, le sang cesse de couler dans les artères de la vie. J’affrontais le monde vide des blancheurs célestes.

Je repris contact avec la réalité du labyrinthe et j’aperçus un homme se diriger vers moi. Il dégaina son épée. Je le reconnus, c’était le prince. Il portait un grand complet de velours turquoise, son cou cintré d’un solide protecteur métallique comme chacune de ses jambes. Ses armoiries brodées se déployaient sur le devant du complet : deux grands scorpions, l’un noir et l’autre blanc.

Le passage que j’avais franchi avait modifié ma compréhension des mécaniques du labyrinthe. L’espace seconde plus tard, je tenais une épée et le velours turquoise caressait mes bras. Sur mon torse, deux scorpions s’affichaient en armoiries grandioses. J’étais en haut de l’escalier et tout en bas, le bal de l’impératrice battait à pleine mesure.

La salle de bal Labyrinthe VI

Et j’entrai dans la salle de bal, rapidement absorbé par une ambiance en complet décalage avec celle du labyrinthe. De grandes statues de marbre du prince taillées par les plus grands sculpteurs encerclaient le plancher de danse. Tout en haut, sur une mansarde de pierres anciennes, jouait un orchestre vêtu de grands vêtements de soie amples, confectionnés par les meilleurs tailleurs. Il jouait une musique douce qui brisa dans mon cœur la mélancolie accumulée depuis tant d’années d’errance dans les infâmes couloirs de la perte des sens. Cette musique nous fait oublier le temps qui fuit. Même le sablier des temps immortels s’écoule plus lentement. Les lois de la physique terrienne ne s’appliquent plus et les relations atomiques ne suivent plus l’échelle normale de l’évolution. Cette musique n’avait aucun son d’amertume, elle était parfaite. Pour la première fois, je constatai que le temps du labyrinthe n’était pas celui des hommes, mais bien celui de puissances qui ne se dévoilaient habituellement pas aux mortels.  

Derrière eux se trouvait un immense trône et je présumai qu’il s’agissait de celui de l’impératrice. Le trône était vide. Elle ne se trouvait pas là où je l’attendais. Dans un battement d’ailes, une réalité nouvelle s’offrit à mes yeux. Je croyais la salle de bal vide, mais en un espace seconde, elle fut remplie de convives. Toute l’aristocratie du labyrinthe dans sa splendeur, sa grandeur et sa supériorité se trouvait là, devant mon regard troublé par une apparition aussi soudaine.

Un serveur en smoking s’avança lentement vers moi, l’air méprisant. Il sait que je ne suis pas d’ici et il m’offrit ma boisson préférée dans un grand verre de cristal. Je pris doucement une gorgée, un peu comme un enfant incertain des conséquences de son geste. N’ayant pas été assez prudent, ma vision s’embrouilla, la salle de bal devint floue, grise et brumeuse. J’ai la tête qui tourne, je sens que la réalité s’effrite devant mon regard de simple passant ahuri.

Labyrinthe V : Le temple

Les feuilles d’automne qui tombent sont le reflet miroir de ma mélancolie. Alors que j’avance à reculons dans les méandres de la ville centre du Labyrinthe. Les alcools d’hier effacent les souvenirs tourmentés, ils effacent son visage de mon esprit. Je m’avance dans les couloirs qui mènent au palais de l’impératrice. Devant moi, deux gardes féminins entraînées pour tuer vos espérances les plus profondes se posent en gardienne du temple de l’oubli. Je n’avais jamais vue porte aussi grande que celle qui se trouvait devant moi. On m’avait informé que franchir cette porte était un point de non retour, que l’effet d’attraction du labyrinthe serait si fort que jamais plus je ne pourrais sortir du centre, que je terminerais ma vie dans une éternelle réflexion et que doucement, je perdrais le sens de toute réalité et même ma raison d’être.

Je tendis le triangle aux gardiennes de la porte. Elles affichaient le mépris de leur rang. J’affichais mon indifférence, l’invitation était valide, j’étais le seul invité de l’extérieur. Le seul assez fou pour accepter l’invitation de l’impératrice. La porte coulissa lentement.

Soudain, je fus pris de vertige. Les effets de la porte n’étaient pas ceux que j’attendais. Je vis une femme que je ne connaissais pas s’avancer vers moi. Je n’avais plus de passé, plus de futur. Je sentais mes connections nerveuses se détendre. Elle me fit signe de la main, je la suivis dans les corridors du labyrinthe intérieur. Ils étaient beaux, ornés de grands poèmes calligraphiés à l’encre de chine.

Nous arrivâmes à la porte de la salle de bal. Sur cette porte se déployait un poème écrit en lettre d’or :

Les ailes de l’ange de feu

Se posent sur mes yeux amoureux

Et je me dépose en larmes

D’amertume

Les ombrages de mes désirs

Qu’elle combat avec plaisir

Elle s’échappe de moi

Emportée par les feuilles d’automne

Dans ces arbres de soir je vois

Les miroirs de mes vadrouilles

Des éclats de verres m’embrouillent

Labyrinthe : Les triangles (IV)

Et il pleuvait à grosses gouttes sur la Capitale. La pluie coulait le long de la vitre sale de l’Hôtel des Morts-Lentes. Les dernières bougies des festins s’éteignaient et je ne savais pas depuis combien de temps j’étais ici. La déferlante des heures, des jours et peut-être même des années affectait mon jugement. Je n’avais jamais cru pouvoir rester figé dans un lieu aussi longtemps. La tristesse devant le vide qui m’entourait ne provoquait plus rien en moi. J’avais peur de commencer cette grande guerre, celle pour laquelle j’avais traversé le labyrinthe; maintenant que j’étais si près du but, je ne savais plus dans quel camp j’étais.

Sur le mur de ma chambre se trouvait une étrange œuvre d’art, signée d’une thématique qui s’ouvrait sur une grande question. Une œuvre d’un ancien collectif perdu et aspiré par le labyrinthe des années plus tôt. Je reconnus cette signature pour l’avoir déjà vue maintes fois en graffitis sur les murs : « Pourquoi jamais? » Soudain, je fus pris de vertige, je me trouvais en pleine nature dans une immense cabane de bois. Les chandelles étaient la seule source d’éclairage et dehors un violent orage battait les vitres du camp.

Franchir le dernier chemin, le feu qui brûle. Coulent, telle de la cire fondue, les verres de gin qui engluent les souvenirs. Les glaçons s’entrechoquent au fond du verre. Une cigarette s’éteint sur la dernière ligne écrite. Partir au loin faire la guerre dans un empire de sable mouvant. Embrasser un mannequin vedette de cinéma. Traverser la mer pour rencontrer un vendeur d’armes et devenir son ami. S’évader de la plus haute forteresse. La chandelle se consume et je me vois allumer un cierge dans un lointain monastère. Brûler les espérances, brûler les drapeaux, brûler les mots.

Quand je revins à moi dans la chambre, la chandelle brûlait déjà le tapis et progressivement les rideaux s’enflammèrent. L’Hôtel des Morts-Lentes ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Quelque chose m’avait enfin libéré de ce lieu maudit. Je revenais enfin à l’essentiel. Il était temps de passer à l’Est. Je me mis de nouveau en marche dans les rues de la Capitale. Lorsque je plongeai les mains dans mes poches, j’en sortis, étonné, une clé en forme de triangle.

– Lac Carré nuit du 25 mai

(Merci à mon père pour les idées et surtout la correction)

Labyrinthe : Le Prince

Le prince marchait dans la rue et les fidèles s’agenouillaient devant son humble présence. Il traversait de long en large la ville qui s’était faite si belle pour son arrivée. Il était l’homme de la situation et nul ne pouvait obscurcir son règne. J’étais témoin de son passage, incapable de comprendre comment il pouvait avoir régné si longtemps sur son peuple.

Le prince, d’un long mouvement d’épaule, rabattit sa cape, ce qui fit pour un instant briller le pommeau de son épée, legs de son père, souverain intemporel du royaume de l’oubli. Ici, il n’était pas question de changer quoi que ce soit. Le temps s’arrêtait pour les passagers des infinis. Il y avait des lustres que je marchais dans ses corridors sans fin. Le gouffre qui m’avait aspiré et m’avait emporté si creux au sein des couloirs que j’étais finalement arrivé au milieu de la capitale du royaume de l’oubli : Éternité.

Les bourgeois de la ville ne semblaient pas vouloir comprendre qu’au loin les murs du royaume s’effritaient dans de vastes mouvements de souffrance impitoyable. Alors que j’étais toujours fasciné par le passage du prince, j’eus une vision : son pas, son rythme, ses cheveux. Que pouvait-elle faire ici, celle-là même, raison de ma perte.

Le prince se baissa et d’un geste élégant lui fit signe de bien vouloir lui faire l’honneur de se joindre au long convoi de sa puissance. D’un mouvement gracieux, lent et majestueux, elle honora le prince et grimpa sur le carrosse royal. Délicieusement, elle déposa un baiser sur ses lèvres. Je le reconnus enfin. C’était une vision impossible. Que pouvait-il faire ici, lui aussi, mon si cher ennemi?

Il y avait si longtemps que je le combattais, que pour se défaire de moi, il avait dû m’envoyer aux confins du royaume dans l’endroit le plus sordide et le plus vil du labyrinthe. Que pouvait-elle bien faire avec lui?

Je pris une chambre à l’Hôtel des Morlentes où l’odeur du hasch n’arrivait pas à couvrir celle des nuits trop courtes au service de nymphes qui ne vous laissent jamais repartir. Mon malheur était ma seule protection. Il semblait bien qu’aucune d’elles ne pouvait m’approcher, ne pouvant pas supporter toute cette mélancolie

Labyrinthe la suite

Labyrinthe partie II

 Au cœur du labyrinthe, nous trouvons toujours les mêmes choses. Un regard oublié, une main qui s’efface, un baisé sans lendemain. J’ai découvert le sens profond des mélancolies qui tracent un pli sur son visage. Je me noie dans mes pensées carbonisées par le mépris des paroles prononcées comme un réflexe. Je t’aime, saccade ma souffrance. Martèle mon propre oubli. J’entends les lettres qui se typographient sur le vent de ses lèvres.

Nous serons contre le monde à jamais. Il n’y a plus de monde, il n’y a que le silence du vent qui tournoie.

Sur un banc dans un couloir gravé de graffitis d’artistes héroïnomanes, je regarde le temps qui s’écoule sur le sablier de l’homme aux mille regrets. L’accès se referme sur moi. J’entrevois, au loin, le baiser volé dans la nuit. Il s’évanouit, il coule sur le temps comme la crème glacée sur ses lèvres. Il devient irréel. Les larmes sèchent sur ma peau qui brûle d’amers doutes. Je suis rempli d’incertitude qui violace mon avenir. Le dessin des fantômes du néant amoureux s’affiche sur les rebords du corridor.

L’asphalte chaud transperce les semelles de mes bottes. Je marche en insomniaque. Je ne ris plus. J’effectue une boucle sur moi-même. Je suis flottant, je dérive sans autre idée que celle de m’évanouir dans les ombres. Mon cœur s’emplit d’une tristesse sans fin. Le labyrinthe m’absorbe. J’entends au loin les pas d’une sentinelle. Il semble donner desordres.

Soudain l’eau monte, torrent d’amertume grise. Elle monte aux chevilles des indolences. Elle se fiche de la présence d’êtres sur son chemin. Elle monte, elle m’aspire vers le fond. Elle est chaude, très chaude, elle bout de ma déchéance. Je dois maintenant me débattre, elle m’emporte vers un long tunnel circulaire.

Labyrinthe

Et nous entrons dans l’insoluble labyrinthe, là où les espérances sont devenues des habitudes. Affliction d’une époque qui s’autodétruit devant nos yeux laissant la place aux racines qui recouvriront bientôt les ruines de notre temps. Dans l’espace parallèle s’achèvent les mondes qui diffusaient la puissance lumineuse. Nos rêves d’amours implosent en immondes cauchemars au vernis schizophrénique.

Devant le souffle solitaire, des vents glaciaux qui démasquent les personnages guenilles qui se déplacent en mouvement lent sur un échiquier de cases grises, fatiguées par de trop nombreux passages. La boucle tourne et les longs couloirs immaculés de sang démontrent toute la folie de l’œuvre. Les cris, les pleurs, les souffrances des êtres qui se trouvent ici ne s’arrêtent jamais. Il y a trop de voix, trop de cacophonie pour détendre le tympan et comprendre le sens profond des paroles. Elles se perdent dans l’oubli du vide qui s’étale devant les artifices du mensonge. Elles n’ont de sens que de combler le néant.

Et nous marchons lentement vers une autre porte qui s’ouvre sur d’autres longs couloirs barbouillés par autant de haine que nous n’arrivons même plus à voir devant. Le fracas des sentinelles devient notre seul repos contre les voix qui s’intensifient. Elles crient de plus en plus fort les mêmes slogans, les mêmes dérisions pathétiques, les mêmes refrains dans une répétition qui n’aura jamais de fin.

La puissance du verbe n’y pourra rien. Les articulés de bonne conscience se déploient devant le chemin du salut. Il n’y a pas d’issue. Il n’y a que l’habitude, la banalité, la certitude de savoir d’avance les coups qui se préparent dans les aubes rosées des pensées maléfiques. Mais surtout de savoir son impuissance devant les coups portés en plein cœur, de savoir que nous sommes maintenant ici à jamais.