Le temps des baisers perdus Le temps des printemps qui passent Le temps des errances entrelacées de silence Comme la neige qui fond au soleil des départs De la passagère des aiguilles typographiques Les sourires des temps passés s’évanouissent Le temps de la solitude passagère du doute Le temps de chercher à comprendre Le temps des contemplations Des fontaines divinatoires Le temps des étreintes rêvées Le temps des années qui passent Sur l’horloge des amours Le temps des retours Le temps de s’aimer éternellement
« Avec la force comme alliée, d’autres temps, d’autres lieux tu verras ! » — Yoda
Le grand voyage vers ailleurs qu’il avait entrepris le conduirait-il au désert sans fin? L’homme solitaire marchait le long des lieux qui s’entrelaçaient dans son existence. Absorbé dans les images qui entremêlaient les réalités diffuses. Les signes des passages temporels occupaient toute sa réflexion. Étrangement, ils étaient gravés sur les jardins de son observation. Une école primaire ou les enfants couraient le long des boisés. Jeu enfantin, autobus jaune, neige, hockey et autres souvenirs.
Il eut jadis un mouvement d’euphorie dans sa vie mélangée. Un grand salon ou les festins ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Il était déjà vieux et il savait d’avance où les parcours de ses amis carnavalesques se dirigeaient. Il voyait, il savait et pourtant l’impitoyable et affreuse marque s’affichait toujours. Le compte à rebours, l’ennemi était déjà là. Assis sur son divan en face de lui, il le regardait. C’était un si vieil ennemi que l’homme avait pris l’habitude de ne plus l’écouter. Parfois, dans sa réflexion silencieuse avec ce dernier, ses amis s’approchaient et lui demandaient si tout allait bien. Il n’avait qu’un mouvement réflexe, il se devait d’être rassurant, ils ne pourraient comprendre les mondes que sa vision ouvrait devant lui.
Le mur vert lime affichait une foire, la foule anglaise s’approchait, les canards tournaient le long de l’étang artificiel. Un enfant tentait de trouver le meilleur canard. Et puis le son des manèges qui s’activaient. Elle n’avait aucun sens dans sa vie. Et pourtant elle était là. S’approcha, lui fit une étreinte et soudain, elle disparut. Le salon s’était rempli durant son moment d’absence. La foule s’activait, la musique, le son des amusements, les alcools et les jeux. La grande roue illuminée tournait dans sa tête. La musique, les clowns et les temps s’entrelaçaient.
Il croisait son regard, un déguisement un peu trop éméché. Quelques champignons le rendaient confus. Quelques années plus tard, la vitesse de sa voiture frapperait un arbre dans une courbe, seul et isolé, la mort ferait son œuvre, mais pour l’instant il était heureux et philosophait sur le sens des choses, bien installé sur la table adjacente au baril de bière.
Il entra dans les toilettes, le passage interdit vers l’au-delà s’ouvrit, la lumière diffuse que lui offrit le puits de lumière. Tard dans la nuit, le quatre-roues roulait bien vite dans le dépotoir, les signes s’affichent sur chaque sac de vidanges. Et puis, les arbres, la forêt et dans son milieu les astres l’éblouissent. Il vit une usine délabrée, finalement entouré par des loups. Un à un, dans la lumière, ils venaient lui porter révérence. Il comprenait que non loin de lui, observant en silence, l’ennemi ne pouvait rien, l’heure n’était pas la bonne.
La musique remplit de nouveau son âme. La bouteille de vin était vide. Il sortirait bientôt de son antre. Il devait redevenir l’hôte de sa soirée, celui que l’on s’attendait de trouver, celui-là qui trouvait toujours le moyen de changer les règles du jeu. Il croisa son regard, elle cherchait ce qu’elle pensait avoir trouvé. L’homme ne pouvait pas lui dire que dans quelques années, épuisée d’essayer de remettre en marche un amour perdu depuis des lustres, elle irait se jeter dans l’épuisement de tentatives vaines pour retrouver, un seul instant, le moment qu’elle vivait ce soir.
Soudain, une voiture folle traversa le salon. Il se reconnaît. Nous sommes quelque part, plus tard, bien plus tard, pourchassés par quelques voitures non identifiées. Il traverse une banlieue sans nom, chaque voiture porte un numéro d’un jaune différent. Il roule de plus en plus vite. Les paysages se transforment et les maisons de banlieue se dissolvent. Sa voiture freine. Il abat d’un coup de feu bien précis ses ennemis et s’affale dans le divan, personne ne semble avoir vu le danger.
L’homme se leva, et regarda son corps en mouvement sur la piste de danse. La musique était beaucoup trop forte. Comme d’habitude, les moments d’absences provoquaient des doublons dans les lignes du temps. Une étrange femme fantomatique, habillée en uniforme d’ouvrière lui donna une bière et s’évapora au son du piano.
Quand il sortit de nouveau de sa torpeur, la pièce était vide, les serpentins sur le sol, l’odeur de bière lui donna envie de quitter les lieux. Il sortit, passa devant l’église, il marchait vers le parc. Il termina sa deuxième bouteille de vin sur les tables de pique-nique. Il vit soudain, un vieil homme, canne en main, s’avancer vers lui, le son de sa voix inaudible. Derrière lui, l’homme, l’adversaire, l’ennemi. Le vieil homme s’affala. Le cœur avait lâché.
Nuits américaines Néons et autoroutes Miroirs des astres Camions illuminés Dans les « drives in » désertés Croisement de routes Poste de péage Sur les dérives de l’existence Annonce de perte de sens « un-huit-cents » Désamour et désunion Cigarettes à profusion Panneaux fluorescents Rouler jusqu’à perdre son âme Rouler dans les plaines Comme des cowboys du futur Mourir de soif dans les murmures Des cigales desséchées Explosées dans la vitre verte glacée De la Chrysler au moteur dégommé Nuits américaines Joint que l’on fume Dans un motel sans étoiles Vapeur d’essence Moteurs qui tournent en boucle Se perdre dans le sens Dans la direction ou mettre les voiles Se remettre en question Pour faire diversion Rouler jusqu’au carrefour de la dérision Nuits américaines
Les feuilles d’automne qui tombent sont le reflet miroir de ma mélancolie. Alors que j’avance à reculons dans les méandres de la ville centre du Labyrinthe. Les alcools d’hier effacent les souvenirs tourmentés, ils effacent son visage de mon esprit. Je m’avance dans les couloirs qui mènent au palais de l’impératrice. Devant moi, deux gardes féminins entraînées pour tuer vos espérances les plus profondes se posent en gardienne du temple de l’oubli. Je n’avais jamais vue porte aussi grande que celle qui se trouvait devant moi. On m’avait informé que franchir cette porte était un point de non retour, que l’effet d’attraction du labyrinthe serait si fort que jamais plus je ne pourrais sortir du centre, que je terminerais ma vie dans une éternelle réflexion et que doucement, je perdrais le sens de toute réalité et même ma raison d’être.
Je tendis le triangle aux gardiennes de la porte. Elles affichaient le mépris de leur rang. J’affichais mon indifférence, l’invitation était valide, j’étais le seul invité de l’extérieur. Le seul assez fou pour accepter l’invitation de l’impératrice. La porte coulissa lentement.
Soudain, je fus pris de vertige. Les effets de la porte n’étaient pas ceux que j’attendais. Je vis une femme que je ne connaissais pas s’avancer vers moi. Je n’avais plus de passé, plus de futur. Je sentais mes connections nerveuses se détendre. Elle me fit signe de la main, je la suivis dans les corridors du labyrinthe intérieur. Ils étaient beaux, ornés de grands poèmes calligraphiés à l’encre de chine.
Nous arrivâmes à la porte de la salle de bal. Sur cette porte se déployait un poème écrit en lettre d’or :
Et il pleuvait à grosses gouttes sur la Capitale. La pluie coulait le long de la vitre sale de l’Hôtel des Morts-Lentes. Les dernières bougies des festins s’éteignaient et je ne savais pas depuis combien de temps j’étais ici. La déferlante des heures, des jours et peut-être même des années affectait mon jugement. Je n’avais jamais cru pouvoir rester figé dans un lieu aussi longtemps. La tristesse devant le vide qui m’entourait ne provoquait plus rien en moi. J’avais peur de commencer cette grande guerre, celle pour laquelle j’avais traversé le labyrinthe; maintenant que j’étais si près du but, je ne savais plus dans quel camp j’étais.
Sur le mur de ma chambre se trouvait une étrange œuvre d’art, signée d’une thématique qui s’ouvrait sur une grande question. Une œuvre d’un ancien collectif perdu et aspiré par le labyrinthe des années plus tôt. Je reconnus cette signature pour l’avoir déjà vue maintes fois en graffitis sur les murs : « Pourquoi jamais? » Soudain, je fus pris de vertige, je me trouvais en pleine nature dans une immense cabane de bois. Les chandelles étaient la seule source d’éclairage et dehors un violent orage battait les vitres du camp.
Franchir le dernier chemin, le feu qui brûle. Coulent, telle de la cire fondue, les verres de gin qui engluent les souvenirs. Les glaçons s’entrechoquent au fond du verre. Une cigarette s’éteint sur la dernière ligne écrite. Partir au loin faire la guerre dans un empire de sable mouvant. Embrasser un mannequin vedette de cinéma. Traverser la mer pour rencontrer un vendeur d’armes et devenir son ami. S’évader de la plus haute forteresse. La chandelle se consume et je me vois allumer un cierge dans un lointain monastère. Brûler les espérances, brûler les drapeaux, brûler les mots.
Quand je revins à moi dans la chambre, la chandelle brûlait déjà le tapis et progressivement les rideaux s’enflammèrent. L’Hôtel des Morts-Lentes ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Quelque chose m’avait enfin libéré de ce lieu maudit. Je revenais enfin à l’essentiel. Il était temps de passer à l’Est. Je me mis de nouveau en marche dans les rues de la Capitale. Lorsque je plongeai les mains dans mes poches, j’en sortis, étonné, une clé en forme de triangle.
– Lac Carré nuit du 25 mai
(Merci à mon père pour les idées et surtout la correction)
Un lieu, enfin. Un rendez-vous, coin William et Eleanor, quelque part entre décembre 2015 et mai 2016. Du concret qui perce notre bulle jusque là construite de rêves. Et qui déstabilise.
Nous regarderons la ville de bas en haut, nous qui sommes habitués au contraire. Notre champ de vision nordique sera obstrué par les gratte-ciel, par les tours à bureau, le centre-ville dans toute son exubérance. Nous verrons Montréal autrement, verrons quotidiennement son américanité, ses tailleurs et ses complets, sa frénésie qu’on se gardait pour les occasions spéciales.
Amener du contraste Balancer les couleurs Dans un quartier laboratoire titanesque pour êtres urbains créer des îlots de chaleur humaine
Car il ne faut pas se fier aux apparences. Avec de la chance, il y aura encore les vestiges d’avant, les restes d’une époque révolue, ouvrière et populaire. De quoi s’attacher au quartier, se rattacher à ses racines. Et il y aura le canal, sans doute plongé dans l’ombre par des nids d’oiseaux rares, mais où coulera toujours cette même eau, un cycle qui se renouvelle sans cesse, et où s’étirent des chemins aux détours invitants.
Canal et basse ville Y investir les interstices et faire germer des vivaces Créer du chez-soi collectif et planter des tournesols à l’ombre des tours à condos
Et il y aura toujours les symboliques bancs d’église à l’air libre qui contemplent les grands arbres, comme s’il fallait saisir ce mince espoir verdoyant, cette nature qui se déploie envers et contre tout, et s’en faire une foi.
Au moment où l’on choisit le moins facile l’inattendu le pas très confortable on sait que l’on s’en va d’autant plus vers un futur à bousculer, démultiplier et confronter, vers un futur à créer.
Frappe, Une seconde et il était là. Fraction d’espace, rencontre lumineuse. Frappe, Une minute de retard. Sur le long de la fenêtre se touche une larme de pluie. Grillage du temps sur la feuille de calcul des moments. Elle se croise, il se pousse. Revenir en arrière s’avère impossible, le prochain rendez-vous marquera l’heure. Glissade des mécaniques qui roulent et s’effacent. Frappe, Elle était là, il n’y était plus. Tristes fleurs en main. Il s’évanouit en un souvenir de poudre d’argent. Frappe, Le sifflet du train se fait entendre au loin. Partir là-bas d’une gare à l’autre. Et espérer quelque part peut-être entre les astres. Frappe, Rien n’est plus comme avant, il n’y a plus de gare, plus d’espace, plus d’attente. Tous vont si vite, se dit-elle. Elle marche contre le vent, Sa chevelure grise s’évapore dans la brume du matin. Voilà maintenant soixante ans qu’elle attend, Mais le train ne viendra jamais, la guerre est finie.
Texte : Maxime Charbonneau Illustration : Mélissa Pilon
Saupoudré D’eucalyptus emmitouflé Dans des mitaines de vieux éternuées L’homme aux mille regards Se penche sur l’historique retard Du mouvement pendule Qui afflige le déplacement de ses courbes détendues Origine précaire de classe laborieuse Il ne saurait être autre chose que détonateur rieur Huit cent douze contraintes éméchées Le couvercle décadent explose en œuvres exposées Sur le balcon des balbutiements De son idéal tourmenté et dément L’homme patient canne d’or en main S’avance aux pas de l’oie Et à son oreille dévoilée Glisse des mots hautains Des sons de bas quartiers Des hérétiques idées
Qu’il est dur d’être un homme dans ce pays. Qu’il est dur d’être dans ce pays. Ce soir le ciel m’aspire. Je marche sur les étoiles. Des fantômes s’approchent de moi. Seul réconfort d’un soldat errant. Que reste-t-il de moi? Devant le vide céleste. Ce soir je disparais dans les rues de la ville. Que restera-t-il de moi? De nous?