Illustration

Convergence des potentiels

Un lieu, enfin. Un rendez-vous, coin William et Eleanor, quelque part entre décembre 2015 et mai 2016. Du concret qui perce notre bulle jusque là construite de rêves. Et qui déstabilise.

Nous regarderons la ville de bas en haut, nous qui sommes habitués au contraire. Notre champ de vision nordique sera obstrué par les gratte-ciel, par les tours à bureau, le centre-ville dans toute son exubérance. Nous verrons Montréal autrement, verrons quotidiennement son américanité, ses tailleurs et ses complets, sa frénésie qu’on se gardait pour les occasions spéciales.

Amener du contraste
Balancer les couleurs
Dans un quartier laboratoire
titanesque pour êtres urbains
créer des îlots de chaleur
humaine

Car il ne faut pas se fier aux apparences. Avec de la chance, il y aura encore les vestiges d’avant, les restes d’une époque révolue, ouvrière et populaire. De quoi s’attacher au quartier, se rattacher à ses racines. Et il y aura le canal, sans doute plongé dans l’ombre par des nids d’oiseaux rares, mais où coulera toujours cette même eau, un cycle qui se renouvelle sans cesse, et où s’étirent des chemins aux détours invitants.

Canal et basse ville
Y investir les interstices et faire germer des vivaces
Créer du chez-soi collectif
et planter des tournesols
à l’ombre des tours à condos

Et il y aura toujours les symboliques bancs d’église à l’air libre qui contemplent les grands arbres, comme s’il fallait saisir ce mince espoir verdoyant, cette nature qui se déploie envers et contre tout, et s’en faire une foi.

Au moment où l’on choisit
le moins facile l’inattendu le pas très confortable
on sait que l’on s’en va d’autant plus
vers un futur à bousculer, démultiplier et confronter, vers un futur à créer. 

Chalet introspectif dans l’bois

Le temps emporte l’art. L’art emporte le temps.

24 mai 2013 – 26 mai 2013 | Laurentides, Lac Supérieur


Sur le bord de superbes chutes, entrecoupé de duels frisquets en haute mer agitée, garni de repas des plus volatilisants, d’ateliers de création et de discussions profondes : sur le sens de l’univers, la société, l’indépendance de l’art, la politique, l’histoire…

Sur fond de partage d’inspirations… de théâtre et de gum boots «en fantasme»… et ce Pourquoi jamais nous allons… le collectif a inauguré sa première fin de semaine hors Montréal d’introspection, de formation et de création pour fêter ses 5 ans. Il partagera ses réflexions et explorations dans l’élaboration d’un manifeste…

Le temps horloge

Frappe,
Une seconde et il était là.
Fraction d’espace, rencontre lumineuse.
Frappe,
Une minute de retard.
Sur le long de la fenêtre se touche une larme de pluie.
Grillage du temps sur la feuille de calcul des moments.
Elle se croise, il se pousse.
Revenir en arrière s’avère impossible, le prochain rendez-vous marquera l’heure.
Glissade des mécaniques qui roulent et s’effacent.
Frappe,
Elle était là, il n’y était plus.
Tristes fleurs en main.
Il s’évanouit en un souvenir de poudre d’argent.
Frappe,
Le sifflet du train se fait entendre au loin.
Partir là-bas d’une gare à l’autre.
Et espérer quelque part peut-être entre les astres.
Frappe,
Rien n’est plus comme avant, il n’y a plus de gare, plus d’espace, plus d’attente.
Tous vont si vite, se dit-elle.
Elle marche contre le vent,
Sa chevelure grise s’évapore dans la brume du matin.
Voilà maintenant soixante ans qu’elle attend,
Mais le train ne viendra jamais, la guerre est finie.

Texte : Maxime Charbonneau
Illustration : Mélissa Pilon

Jésus Cree

Aujourd’hui je suis allé sur la montagne. Il faisait un temps espoustiflant. Je barre mon vélo. Une sœur s’accroche de moi.

«Belle journée, n’est-ce pas ?»

Pointillant le soleil je dis :

« Oui quand même hein ! Je vais essayer de me rapprocher de lui»

«Priez Jésus, vous aller le trouver».

Il faut toujours se méfier des gens qui disent pas bonjour, ni au revoir. Ils ont souvent un truc à vous vendre.

Et moi ce genre de truc ça m’effraie. Bah si. Je suis du genre à méditer alors j’ai toujours peur que ça m’arrive pour vrai.

Je serais assis en tailleur, au pied d’un bouleau, dans une petite clairière et là tout à coup, j’aurais une vision. Un être lumineux s’approcherait de moi, poserait sa main bienveillante sur mon épaule, et me dirait sur un ton laiteux paternel.

«Mon fils, tu n’es pas perdu, tous tes péchés sont pardonnés, je suis là, et que cet air là, et que cet air là… »

Je me relèverais, les yeux illuminés et je me mettrais à mon tour à préchier la bonne parole autour de moi.

Après tout si j’ai vu Jésus, je peux bien me rendre jusqu’à Dieux. Je sais compter, un, dieux, trois.

Sortant de ma rêverie, et surtout de l’élobarotian mentale d’un texte que j’écrirai plus tard, j’arrive au sommet de la montagne. Et comme sur tout sommet, j’y retrouve la croix en érection cathodique, symbole d’une religion qui s’est courageusement forgée une place dans l’arène sans pitié de la pluralité des con victions. 

Une barrière a même été construite à l’entour pour préserver de jeunes délinquants d’aller y accrocher quoique ce soit d’un peu rouge et voyant. Seulement voilà. Je ne sais pas si c’est juste moi mais, j’ai bel et bien eu une vision.

J’y ai vu un tipi.

Je suis redescendu de la montagne, en me disant qu’on aura tôt fait d’oublier le génocide sur lequel la nation s’est construite, mais qu’on ne le supprimera jamais de l’inconscient collectif.

J’ai pas prié Jésus, j’aime encore mieux dessiner les arbres ou les oiseaux, ce qui fait de moi un Dessinanimiste.

J’ai récupéré mon vélo. Un gars s’est approché de moi : «Tu cherches du pot ?».

J’y ai dit non merci, j’ai trouvé Jésus.

« Sois Libre »

(Cliquez sur «lecture» avant de commencer)

Une journée comme il y en a d’autres. Je devais aller à un cours. Le genre de cours donné par un prof imbus de lui même. A peine assis, je me relève et prends la porte. D’un pas décidé, je sors de l’université, monte dans le métro en direction du nord. Sans aucun objectif. Je sors à la dernière station, rive nord. Je marche quelques mètres et aperçois un magasin de musique. Je rentre. Plusieurs guitares bons marché. J’en essaye une avec un cutaway, qui permet d’aller jouer dans les aigus. Le son est ample, la touche est confortable, la tenue est légère. Je l’achète immédiatement. Je quitte le magasin avec ma nouvelle acquisition et marche le long du fleuve. Je m’installe sur un quai flottant, inspire, et souffle.

Je passerai le reste de l’après-midi là, à jouer au rythme de l’eau.

Nous sommes cinq ans plus tard. Je suis à San Francisco. En tant que musicien, j’ai pris en couleur, en nuance et en présence. J’ai toujours ma guitare avec moi. C’est notre dernier voyage. Avec tout humilité, Il est temps pour moi d’en trouver une plus à mon jeu.

Je cherche un endroit où je pourrais jouer.
Je marche sur Masson, vers l’est. Arrivé au bord de l’eau, sur Embarcadero, à ma grande surprise, je retrouve une construction familière. Il s’agit d’une fusée, une installation artistique présentée à Burning man l’année du thème «Evolution». Je m’installe dessous. Je joue une dernière fois.

Ce que vous écoutez actuellement, c’est un adieu.

Je pose la guitare puis m’en vais. Pas un abandon, juste un don. À la providence, à whoever may come and take it. Un couple de jeunes mariés apparaît alors, pour se faire photographier sous la fusée, la guitare en arrière plan comme si elle faisait partie du décor. Ce qu’aucun d’eux ne se doute, c’est de ce qui est inscrit en arrière de la guitare… 

La brèche

Illustration et poème publiés par Isabelle Caron et Daryl Hubert dans le recueil Mon village: un personnage, une maison, un souvenir, une histoire. Ce projet a été réalisé dans le cadre du 30e anniversaire de la bibliothèque Gilles Vigneault et le 15e anniversaire du Journal communautaire Le Portageur de Natashquan.

Droit de s’évader dans l’âme d’un village
Où même les vagues nous appellent à coexister
À rendre visible nos mémoires, nos galets
À rendre humaine notre folie, nos voyages…

Ici, nous avons rencontré
D’un coeur à l’autre, des femmes et des hommes
Partageant l’expression d’une danse authentique, folklorique et engagée
Qui de partout, et pour ensemble, nous ont fait rêver.

Rêver d’unité, rêver de pays
Rêver d’histoire et d’infini
Rêver de vous… revoir bientôt
Rêver à cette brèche qui s’ouvre.. sur des possibles tangibles.


Isabelle Caron, et Daryl Hubert. 2011. « La brèche ». In Mon village: un personnage, une maison, un souvenir, une histoire, p. 15-16. Le Journal Le Portageur. Natashquan.

ISBN : 978-2-9812725-0-8
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2011