Création collective

Perspective(s) d’une rencontre

Ce que les autres pensent, comment ils nous voient, ce qu’ils veulent bien entendre dans nos mots, et ce qui leur échappent aussi ; l’accès aux perceptions des autres, impossible mais à quelque part source d’un désir ambivalent.

Le Dieu de l’ubiquité assiste à la première rencontre entre Simon et Henriette, deux Montréalais qui n’ont en commun que la recherche de l’amour et un serveur qui les fixe pendant qu’ils discutent…

Notes techniques :

Ceci est un premier essai de profiter de HTML 5 pour avoir des animations interactives en utilisant Processing. Au début, le JavaScript précharge toutes les images nécessaires, donc en fonction de votre connection internet, ça pourrait prendre un peu de temps avant que tout s’affiche comme il le faut (normalement moins de 5 sec).
L’oeuvre a été testée avec Chrome, Firefox et Internet Explorer.

La durée totale est de 5 min 40, et il est impossible d’avancer ou de reculer la vidéo. Pour apprécier toutes les perceptions, il faudra donc revoir la vidéo (en rafraichissant le site web, vous reviendrez au début).

Cliquez sur l’image pour ouvrir l’animation (sur laquelle vous pourrez interagir à l’aide de la souris):

92 premières neiges

Illustration : Évi Jane Kay Molloy

Le soleil de nuit caressait mes joues creuses.

À la lueur du diamant doré, je me remémorais mes 92 premières neiges.

Le temps semblait s’écouler de plus en plus rapidement dans mes veines.

Bien enfoncée dans mon fauteuil d’acier, j’observais mon reflet briller dans la lucarne de ma chambre.

Une tignasse terne. Des doigts noueux. Un dos vouté.

À la lisière de mon existence, je ne puis m’empêcher de regarder derrière mon épaule. Et si je pouvais un jour revivre ma vie, que ferais-je autrement ?

Si je pouvais verdoyer à nouveau, je prendrais les choses moins au sérieux.

J’oserais embrasser encore plus fougueusement les fortunes de mer, les faux pas et les folies.

Je m’efforcerais de me sustenter uniquement d’ataraxie et mangerais moins de navets.

Si la vie s’élevait devant moi, je ne laisserais pas le fugace et frêle présent s’échapper.

Je suis si grand

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faune urbaine, celui qu’on voit sans vraiment le voir. Je connais mon royaume comme ma poche trouée. J’en parcoeur chaque coins et recoins dans vos heures de fermetures. Je suis au niveau du sol, sous le regard des passants. Je pourrais aussi bien être une roche ou un vieux marteau rouillé. Je suis le roi des ruelles, celui qu’on abat quand il vous dérange.

Je pourrais être ailleurs, je pourrais même être quelqu’un d’autre. Je suis ici, je suis partout à la fois.

Travailleur.

Peut-être que je suis toi qui me regarde avec dédain en me lançant quelques pièces du bout des doigts, me regardant à peine, pressé. Fermant les yeux, espérant que je ne sois plus là au réveil.

Mais moi je reste là, sur mon petit bout de trottoir, toujours le même, beau temps, mauvais temps, à tout les jours du possible… Toi, tu pars et parcours la ville d’un bout à l’autre, tous les matins et tous les soirs, cinq fois par semaine et parfois même davantage… Mais au final…

Toi qui travaille.

Vagabond!

Toi qui s’en va, sac au dos, repousser les frontières de l’ignorance.

J’ai ton visage et tu as le mien. Es-tu meilleur que moi? Peut-être as-tu pris un tournant différent, peut-être as-tu eu la chance que je n’ai pas eue. Je suis aussi le reste d’une âme abandonnée, la conséquence d’une suite de mauvaises décisions.

Étudiant.

Qui sait peut-être hier étais-je celui qui lançais du bout des doigts quelques piécettes en ne regardant pas ce visage qui ne me demandait qu’un peu d’aide, un simple sourire.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la fresque urbaine, dont on fait peu de cas ou qu’on méprise. On me confond avec ces murs gris. Sales. Serais-je un jour assez humain pour vous? Je suis le roi des ruelles, celui qu’on ne remarque pas à moins qu’il vous dérange. Je suis un étranger dans ma propre vie.

Va-nu-pieds.

Hier encore, j’étais cet étudiant qui allait s’emplir la tête de belles idées, de théories. Cet étudiant la tête emplie de rêves, cet étudiant au cœur plein d’espoir et plein d’amour.

J’ai été ce travailleur, celui qui jour après jour s’en va vers sa misère, sans trop penser à soi ni aux autres, sans même regarder autour de lui, comme le mouton qui suit ses congénères dans trop se poser de questions. Sans même se voir là assis par terre en train de demander l’aumône aux passants qui déambulent sans le voir. Ce pouilleux qui vous embête. Qui vous répugne.

Penseur.

On me croit dangereux, parce qu’on ne me connait pas, parce que je n’ai plus de restriction sociales, plus de limite civique, bref, plus rien à perdre de plus que ton mépris… Peut-être que je me retranche dans ce château de carte un peu bancal pour oublier à quel point j’ai mal. Mon air sauvage cache peut-être autre chose. Qui dit qu’hier encore je n’étais pas assis au même restaurant que toi, en train de rire avec ma famille et mes amis.

Rire de ce monde, de cette vie qui s’écoule, de mon temps qui s’écroule.

Toxicomane.

Et si j’étais seulement le fruit pourri de votre imagination?

Payeur de taxe.

Et si ces vêtements dépareillés qui vous paraissent trop grands ne l’étaient que parce que c’est votre esprit qui est trop étroit.

Malade.

Et si j’étais vous, peut-être serais-je moins fou?

N’entendez-vous pas ce cœur qui bat sous la crasse, ce cœur plein d’espoir qui ne demande qu’à recevoir un sourire, l’attention d’un instant, la reconnaissance du statut d’être humain. Parce que j’ai choisi d’être encore de ce monde, même si je suis en marge, je suis ici, dans l’alinéa de la vie.

Bien vivant!

Bien sûr que vous alliez cracher sur mes vidanges avec vos vies d’anges!

Mon cœur se bat pour vivre. L’entendez-vous seulement?

Moi le roi des poubelles, que je suis gauche et veule… Si vous enleviez cette pelure de banane qui cache votre propre égout. Remplacez cet orifice qui ne sert qu’à me vomir votre margouillis.

Je suis ce roi étranger que vous choisissez d’ignorer.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faunesque urbaine qui déambule et colore le paysage, je pourrais aussi bien être un caillou, un vieux débris, même cet outil depuis longtemps oublié, criblé de rouille par un polisson. Je pourrais être votre frère aussi…

Personne n’est à l’abri du sans-abri… La plupart n’ont pas choisi, ils survivent en marge de la vie en attente d’un paradis…

Je suis ce roi des ruelles, celui qu’on abat quand il vous dérange.

Les sentiers étrangers

Il était une fois, dans une époque révolue, une rencontre des plus saugrenues qui suscita beaucoup de vives réactions. En effet, jamais n’avait-on vu un ours aux poils noirs en présence de petits picots blancs pointus… Une expérience des plus surprenantes et inusitée… Un rêve dont vous êtes le héros, bref! Il suffit de trouver la force pour consciemment allumer la lumière…

Sortez de votre zone de confort! Prenez un bon verre de vin et écrivez à votre descendance pour qu’elle entende et s’aperçoive dans un monde merveilleux dans lequel on peut dire qu’on ne veut pas vivre dans un monde merveilleux.

C’est le midi, il fait noir dans la cabane quand elle grince, zézille et ronronne, ses habitants enfin endormis le coeur de mes amours perdues. Et je marche dans les sentiers étrangers, les fleurs et les arbres de bronze, à l’ombre de la grande forêt, murmurent leur chant les mains levées, il regardait la foule: il ne savait pas trop si le temps était favorable. De toute façon, on a beau prédire les choses, favorable ou non, la vie continue. Il faut savoir lire dans les nuages. Aussi gros soit-il. Aussi grand, aussi beau soit-il, je n’en voudrais pas. Je n’ai pas besoin de tous ces artifices.

De la société moderne, c’est pourquoi le groupe devrait songer à devenir féministe radical matérialiste. Cette posture serait à envisager ou adopter si le besoin se fait pressant. La pression d’être créative, d’écrire quelque chose qui est drôle et fait du sens en même temps. Sharp! Comme dans fun complètement débile et même tripant, capoté…! Sans dessus dessous, la voiture et leurs passagers se retrouvèrent dans le champ de tournesol. Que vois-je? Une étrange tache de couleur rouge… Une torche? Une immense fleur? Non! Un clown. Vraiment? Je suis allergique aux clowns et je n’ai pas apporté mon Epipen. Pour être franche, je crois que c’est mieux si tu le retournes au magasin. Oh! Mon Dieu! J’ai le goût de vomir. Sors mon sac de plastique bâ. Pourquoi j’ai mangé ce crapaud vert et laid?

On aurait dit un gros extra-terrestre qui a trop mangé. Il recula de deux pas en arrière et tomba dans le feu, face aux deux loups qui rampaient encore après lui… yeux dans les yeux ^_^ la température s’était élevée. L’air était lourd. Humidité. Je lui aurais sauté dessus si elle ne s’était pas endormie. La chaleur a toujours fait monter en moi des envies sensuelles. J’attendrai son réveil et me permettrai alors de lui préciser que ce n’est pas la première fois que je fais cela, que j’ai déjà beaucoup d’expérience dans le domaine du faire des fromages, qui font squick-squick dans la bouche et développent un si bon goût avec des frites et de la sauce brune.

À plus tard chez France!

31 mai 2014. Laurentides, Lac Supérieur

Signalez !

Dans le cadre du festival Phénoména 2013…

Il est maintenant temps pour vous de signaler une disparition!

Composez le 514-360-2202 !

Déjà une année s’est écoulée depuis l’intrigante disparition d’Erika Weisz dans la ruelle de la Sala Rosa lors du Festival Phénomena 2012…

Dans le cadre de la nouvelle édition du Festival Phénomena, Pourquoi jamais met à votre disposition un système téléphonique interactif intelligent afin que vous puissiez toutes et tous signaler cette disparition mystérieuse et irrésolue.

Composez dès maintenant le 514-360-2202 (sans frais)!

Pour vous guider dans ce parcours insolite, Pourquoi jamais vous invite à vous procurer l’édition gratuite du journal LE MIROIR distribué largement lors du festival…

À partir du mardi 22 octobre prochain jusqu’au vendredi 25 octobre dès 19h, un centre d’appel interactif sera d’ailleurs mis sur pied dans la ruelle de la Sala Rossa (4848, boulevard Saint-Laurent) afin de faciliter les déclarations insoupçonnées.

C’est donc avec plaisir que nous vous invitons à participer en direct à cette oeuvre comique, loufoque, absurde, grinçante…

Partagez dans votre entourage!

Consulter la page Internet du projet : https://www.pourquoijamais.com/projet/pour-signaler-une-disparition/
Visitez notre événement Facebook :
https://www.facebook.com/events/666071433410510/

Personnes qui ont participé à la réalisation de ce projet:
Annabelle Petit, Anne Sergent, Audrey Poulin, Camille Toffoli, Damien Thomas, Daryl Hubert, Éric Gagné, Francis P. Paquin, Isabelle Caron, Jean-Philippe Boudreau, Jörn Nathan, Julie Aubin, Louis-Philippe Bell, Maxime Charbonneau, Mireille L. Poulin, Myriam Boivin-Comptois, Myriame Charles, Tiphaine Delhommeau et Yan Lavoie

Phénomena 2013 : bande-annonce

Voici la bande-annonce du Festival Phénomena auquel participe Pourquoi jamais en octobre prochain !


D’ailleurs, vous êtes toutes et tous invité-es au lancement de la programmation au Royal Phoenix (5788, boulevard Saint-Laurent) mardi le 24 septembre de 17h à 19h.

[AVEC : une performance musicale de Guizo LaNuit et de son complice Gigi l’Amour]

Poste restante

Au départ, l’idée était bien simple. Lancée dans un élan d’enthousiasme et adoptée sur un coup de tête.

Partir à vélo, pour oublier un peu les courriels et les piles de vaisselle. Découvrir un coin de pays, sentir chaque kilomètres traverser notre corps. Nous retrouver pour quelques semaines, avec rien d’autre à faire que pédaler, un chez soi accroché au porte-bagage. Parcourir une route qui nous ramènerait à notre point de départ, plus légers.

Et puis il y a eu les listes de matériel à acheter, un budget à respecter et des règles de sécurité routière. Du coup, nous avons eu peur de nous empêtrer dans les détails techniques. Pour ne pas rater cette rencontre avec nous-mêmes, nous nous sommes fixé un rendez-vous quotidien.

Chaque soir, dans nos carnets respectifs, nous avons écrit les réflexions, les souvenirs, les images qui nous habitaient pendant la journée. Pour garder une trace, mais surtout pour nous donner la chance de parodier les incidents, de romancer les anecdotes les plus banales. Un peu aussi pour pouvoir partager, bien humblement, quelques passages de cette aventure gaspésienne sur deux roues.

En relisant nos carnets, nous avons choisi sept journées. Sept paires de fragments qui se font écho d’une manière singulière. Des textes qui posent des regards différents sur des instants communs et que nous avons accompagné d’images fantaisistes. 

Le Bic – 8 juillet 2013

Ce matin, alors que tu dormais toi-même dans l’autobus entre Lévis et le Bic, une vieille dame assise sur la banquette à côté de nous s’est réveillée brusquement. En sursautant, elle a laissé échapper un bref cri apeuré, puis a vite constaté son ridicule. Elle s’est excusée timidement (en anglais), puis a cru bon de se justifier : « Oh! I’m so tired! ». En cette fin d’après-midi, alors que nous écrivons côte à côte devant la Baie du Ha! Ha!, je pense à tous ces « Ha! », ces « Oh! », ces exclamations soudaines tirées du grand lexique atavique. Du cri de terreur d’un méganticois pris par surprise dans le brasier de sa ville aux rires enjoués de deux voyageurs à la veille d’un départ.

Jean-Philippe

À Lévis, la gare d’autobus est une succursale de Pétro Canada. J’étais déstabilisée : les caissières adolescentes et les publicités de Budweiser dans les fenêtres me paraissaient indignes de l’aventure dans laquelle nous étions sur le point de nous lancer. Au moins, les bourrasques qui balayaient le stationnement avaient une odeur de départ. Le chauffeur n’a pas bronché en nous voyant enfoncer dans la soute nos vélos maladroitement emballés. Pas de regard intrigué, pas de sourire amusé. Décidément, nous n’étions pas les premiers. L’autocar était rempli d’inconnus assoupis dans leur capuchon; c’était le silence complet, à l’exception de nos rires surexcités qui s’emballaient pour la moindre raison. Comme  si nous étions deux enfants investis d’une mission qui tient tout son charme dans le secret.

Camille

Ste-Flavie – 10 juillet 2013

Aujourd’hui, j’ai craint d’avoir manqué le rendez-vous. Je pédalais une vingtaine de mètres derrière toi, sur un faux plat interminable, quelque part entre Le Bic et Rimouski. Le souffle et les muscles me manquaient pour te rattraper. Je te voyais me regarder sans cesse par-dessus ton épaule, mais les rayons de soleil réfléchis sur l’asphalte m’empêchaient de lire ton visage. Dans le doute, je pouvais supposer ton impatience, tes encouragements, tes inquiétudes. Pour la première fois depuis notre départ, je me suis sentie seule. Seule contre la distance et les dénivelés,  sur ce vélo qu’uniquement ma force pouvait faire avancer.

Camille

Tu ne l’as pas connue. Tu sais qu’elle a marqué ma vie. Le verbe est trop fort… Tu sais en tous cas qu’elle est passée dans ma vie. C’est d’ailleurs en passant sur la route du fleuve, à Ste-Luce-sur-Mer, que j’ai pensé à elle. Je voulais te montrer le minuscule chalet où elle m’avait accueilli pour quelques jours, un été, il y a peut-être quatre ou cinq ans. En vain. Malgré le souvenir très clair que j’avais gardé de sa maison mobile blanche en bordure du fleuve, je n’ai rien trouvé à te montrer. Peut-être en va-t-il ainsi des maisons mobiles… Certains jours de grand vent, peut-être décident-elles de prendre le large. Et les amies disparues, que deviennent-elles ? Je pense à Suzette et à défaut de pouvoir te la présenter, je te parle d’une maison disparue.

Jean-Philippe

St-Siméon-de-Bonaventure – 16 juillet 2013

Le chalet que nous avons loué semble figé au début des années 90. Télévision cathodique surdimensionnée; sofa en velours gris-bleu; meuble multifonctions en mélamine. Ce décor, aidé par les verres de vin, nous replonge dans cette décennie révolue, époque de mon enfance et de ton adolescence. Les équipes d’impro, les cours de piano, les vacances en famille, les défunts animaux de compagnie. Tout nous revient en vrac, sans doute magnifié par le temps. Au moins, l’euphorie des vacances nous tient loin des souvenirs amers. Ce soir, la nostalgie est faite de fou rire; nous retenons les royaumes imaginaires et oublions les insultes de cafétéria. Quand même, au moment de m’endormir, ton corps assoupi contre le mien me rappelle le bonheur d’être adulte.

Camille

Nous redécouvrons lentement l’art de la flânerie. Nos vélos, bêtes de somme dans les derniers jours, sont redevenus d’agiles petits véhicules de promenade. Nous gardons encore certains réflexes de routards et mesurons le kilométrage effectué entre le chalet et l’épicerie. Mais notre pédalage a changé. Il est déjà plus désinvolte, moins économe. Il nous arrive de mouliner dans le vide et de faire tanguer le guidon à gauche, à droite, simplement pour garder l’équilibre. Nos préoccupations sont aussi moins rigides, moins dictées par les paramètres de la route à faire. Dénivelés, vents dominants, ravitaillement ne font presque plus partie de nos discussions. Nous parlons de tout, de rien, mais surtout d’autres choses.

Jean-Philippe

St-Siméon-de-Bonaventure – 19 juillet 2013

Au fin fond de la route Poirier, nous redécouvrons un sentiment qui nous était devenu étranger: l’attente. Dans un chalet sans téléphone, nous attendons des amis qui n’en ont pas non plus. Sur le balcon, le nez dans nos lectures respectives, nous faisons de notre passion un passe-temps. De temps à autre, nous percevons  le grondement d’un véhicule. Chaque fois, je lève les yeux discrètement, feignant de me concentrer sur mon roman.

Après quelques heures, je te demande :

–  Ça ne te stresse pas, toi, de ne pas savoir exactement quand ils vont arriver?

– Pas du tout, je suis absorbé par mon roman.

Tout à coup, un moteur plus bruyant que les autres. Tu remarques « Ça ne peut pas être eux. Ça ressemble plus à un quatre-roues. » Je souris, rassurée de te trouver avec moi dans cette incertitude qui pousse les sens en alerte.

Camille

Quelques jours de sédentarité auront suffit à nous donner l’illusion d’être chez nous. Cette habitation nous a rendus nous-mêmes plus solides en nos fondations. C’est entourés de nature, comme depuis le début, mais à l’abri, que nous avons lentement dénoué nos muscles endoloris, que nous nous sommes débarrassés de nos peaux mortes, que nous avons laissé le temps passer tranquillement, comme le flot paresseux de la petite rivière St-Siméon. Et pour mieux partager le plaisir de cette nonchalance, nous avons choisi d’ouvrir notre porte à des amis. Ils se sont aussi sentis chez eux. Avec nous, ils ont aussi laissé le temps faire son œuvre sans plus d’occupation que la veille insouciante de nos besoins immédiats.

Jean-Philippe

Percé – 22 juillet 2013

Les touristes sont généralement laids. Ils aiment les choses laides qui évoquent de belles choses : un bibelot en céramique qui reproduit en miniature le profil immense d’un cap rocheux ou un coton ouaté gris à l’effigie d’un fou de bassan. Les touristes se déplacent dans des véhicules immondes : des châteaux roulants qui traînent derrière eux des chars d’assaut pour les déplacements légers. Aujourd’hui, nous sommes arrivés dans la petite boule à neige en verre de la Province et nous avons su garder la tête haute. Nous avons joué aux touristes, mais avec l’arrogance chauvine de deux locaux. Ou presque. Nous ne sommes que de passage, mais avons conquis chaque kilomètre de route qui nous a menés jusqu’ici. Ces kilomètres de route nous appartiennent et notre bronzage nous rend beaux. Rien à voir avec les grosses faces rougeaudes de tous ces touristes.

Jean-Philippe

Percé, c’est Old Orchard, c’est Key West. C’est n’importe quelle ville du monde où on trouve des magasins de bibelots à tous les coins de rue, mais pas de quincaillerie. C’est l’authenticité résumée par des homards géants en plâtre. Percé, c’est des milliers de sourires niais avec une roche trouée en arrière-plan.  Au moins, nous avons trouvé un restaurant presque vide où le serveur n’était pas déguisé en capitaine de bateau. Autour d’une morue poêlée et d’un demi-litre de vin blanc, nous avons discuté sans effort de choses banales, fascinantes, spirituelles, délirantes. Nous avons ri des autres, du kitsch ambiant, mais surtout de nous-mêmes. Et en marchant pour retourner à notre terrain de camping, un peu malgré nous, nous nous sommes arrêtés pour admirer le rocher. Avec un coucher de soleil, pour le cachet.

Camille

Douglastown – 25 juillet 2013

À Douglastown, les numéros civiques ne sont pas indiqués sur les maisons. Nous devinons le 6 rue Trachy grâce à son drapeau du Québec qui jure dans ce petit village irlandais. Sur la voiture stationnée dans l’entrée, l’autocollant d’un concessionnaire montréalais nous confirme que nous sommes bel et bien au bon endroit.  La porte est ouverte; juste à côté, un vieux coton ouaté, un bas de pyjama et un chapeau en feutre sont cloués sur la façade en bardeaux de cèdre, imitant la position du Christ sur sa croix. Comme si quelqu’un, ici, avait voulu mourir pompeusement. J’appelle mon amie à travers la moustiquaire. Sans réponse. Je me permets d’entrer et découvre un fouillis sans nom.  Des artefacts accumulés sur les moulures, des affiches de bière et des toiles abstraites affichées côte à côte, des mots d’amour et des versets bibliques griffonnés au plafond. Un décor surchargé qui porte la marque de nombreuses années d’existence : de soirées arrosées, d’amours déçus, de nouvelles rencontres et d’amitiés rompues. L’odeur, un mélange de poussière, de cigarette et de fleurs séchées, réveille en moi cette mélancolie que j’ai facile. Quand je ressors, au bout de quelques minutes, tu me demandes : «  Et puis, c’est comment? » Je reste silencieuse, ne trouve pas de mots assez vastes pour tout nommer. « Rentre. Tu verras par toi-même. »

Camille

À vitesse de voiture, le profil des côtes s’adoucit, les nuances de la route s’estompent, les paysages deviennent un peu plus flous. Ce n’est qu’à vitesse de jambes, qu’on peut vraiment apprécier les subtiles variations du territoire : certains villages où la peinture des bicoques s’écaille davantage, certaines montées plus impitoyables, certains vents plus imprévisibles. À mesure que nous avançons, nous nous laissons traverser, il me semble, par une multitude d’expériences diverses qui nous transforment, qui nous inspirent ou, à tout le moins, nous alimentent. Quand je retourne consciencieusement au tracé des courbes topographiques, j’aime à penser que cette ligne brisée irrégulière est une sorte de trace abstraite de notre propre évolution. Tel point correspondant à un moment de découragement dans une montée, tel autre à un moment d’oubli de soi dans une descente. Un autre encore marquant l’instant précis d’un rire sonore dans une maison excentrique de Douglastown…

Jean-Philippe

Mont-Louis – 1er août 2013

Aujourd’hui, j’ai pêché mon premier poisson. Ça n’avait rien d’un exploit : paraît qu’on attrape les maquereaux par dizaines, à cette période-ci de l’année. Mais pour nous, c’était une aventure. Sur la clôture défoncée du quai désaffecté, l’inscription « Interdit de circuler »  nous rendait déjà fébriles. Et puis, simplement d’être là, au milieu des pêcheurs locaux, avec l’odeur de varech, c’était suffisant. Assez pour faire de ce moment un souvenir.  Quand quelque chose s’est agité au bout de ma ligne, j’ai essayé de cacher mon excitation. Toi, tu as jubilé pour deux. Tu as emprunté un cellulaire au hasard pour  me photographier, le sourire figé et une prise pendouillant au bout de ma canne à pêche. Nous ne reverrons sans doute jamais cette image et n’en avons rien à faire. Si ça se trouve, j’ai les yeux fermés et ton doigt sur l’objectif cache la moitié de mon visage.

Camille

C’est presque à notre insu que nous avons traversé les terribles côtes de la Madeleine pour aboutir dans ce havre hippie et chaleureux. Au fil d’arrivée, nous attendaient des jeunes gens dont on ne sait trop s’ils avaient lu Thoreau à la lettre ou s’ils avaient simplement envie de faire le vide le temps d’un été. Étrange retour en société que cette incursion dans l’utopie de Mont-Louis. Comme un condensé de tout ce que peut représenter la Gaspésie pour qui chercherait à se réinventer. Et nous, dans tout ça, avons-nous grandit de cette traversée ? Quelque chose me dit que ce n’est pas dans la bière du Sea Shack que nous trouverons notre réponse. Mais peut-être plutôt dans les regards complices que nous échangerons désormais lorsque nous penserons à ce périple gaspésien.

Jean-Philippe

Convergence des potentiels

Un lieu, enfin. Un rendez-vous, coin William et Eleanor, quelque part entre décembre 2015 et mai 2016. Du concret qui perce notre bulle jusque là construite de rêves. Et qui déstabilise.

Nous regarderons la ville de bas en haut, nous qui sommes habitués au contraire. Notre champ de vision nordique sera obstrué par les gratte-ciel, par les tours à bureau, le centre-ville dans toute son exubérance. Nous verrons Montréal autrement, verrons quotidiennement son américanité, ses tailleurs et ses complets, sa frénésie qu’on se gardait pour les occasions spéciales.

Amener du contraste
Balancer les couleurs
Dans un quartier laboratoire
titanesque pour êtres urbains
créer des îlots de chaleur
humaine

Car il ne faut pas se fier aux apparences. Avec de la chance, il y aura encore les vestiges d’avant, les restes d’une époque révolue, ouvrière et populaire. De quoi s’attacher au quartier, se rattacher à ses racines. Et il y aura le canal, sans doute plongé dans l’ombre par des nids d’oiseaux rares, mais où coulera toujours cette même eau, un cycle qui se renouvelle sans cesse, et où s’étirent des chemins aux détours invitants.

Canal et basse ville
Y investir les interstices et faire germer des vivaces
Créer du chez-soi collectif
et planter des tournesols
à l’ombre des tours à condos

Et il y aura toujours les symboliques bancs d’église à l’air libre qui contemplent les grands arbres, comme s’il fallait saisir ce mince espoir verdoyant, cette nature qui se déploie envers et contre tout, et s’en faire une foi.

Au moment où l’on choisit
le moins facile l’inattendu le pas très confortable
on sait que l’on s’en va d’autant plus
vers un futur à bousculer, démultiplier et confronter, vers un futur à créer. 

Chalet introspectif dans l’bois

Le temps emporte l’art. L’art emporte le temps.

24 mai 2013 – 26 mai 2013 | Laurentides, Lac Supérieur


Sur le bord de superbes chutes, entrecoupé de duels frisquets en haute mer agitée, garni de repas des plus volatilisants, d’ateliers de création et de discussions profondes : sur le sens de l’univers, la société, l’indépendance de l’art, la politique, l’histoire…

Sur fond de partage d’inspirations… de théâtre et de gum boots «en fantasme»… et ce Pourquoi jamais nous allons… le collectif a inauguré sa première fin de semaine hors Montréal d’introspection, de formation et de création pour fêter ses 5 ans. Il partagera ses réflexions et explorations dans l’élaboration d’un manifeste…