mars 2015

La goutte de trop

La goutte d’eau descend le long du drain. Elle fait un bruit, puis une autre goutte prend le relais. Le ciel est gris. Hier, il a plu malgré le froid. Le vent frappe la tôle de la maison et les secondes s’éclipsent. Une autre goutte d’eau s’engouffre dans ce chemin sans fin. J’enfile un bas dans le mauvais pied. Le son de l’eau m’agace. Je marche jusqu’à l’évier et tourne très fort le robinet. L’eau ne s’arrête pas. Je regarde la goutte suivante suivre lentement son parcours. Dehors, l’arbre sans feuilles caresse la pluie. Il pleut si finement que bientôt l’eau se transforme en léger grésil.

Il y a des jours qui passent sans faire de vacarme. Ils s’effacent tranquillement du calendrier. Un jour de plus. Comme cette nouvelle goutte d’eau. J’ai réalisé que je n’attendais personne et que cela m’était indifférent. Je regarde le chat. Il ne réclame rien. Il dort, il doit dormir des heures. Il passe le temps. Je me demande parfois à quoi il rêve. Et zut! Une autre goutte d’eau fait son chemin. Imperturbable, la garnison des gouttes d’eau semble sans fin. Je me gratte la tête et remarque que j’ai juste un bas. J’ai oublié d’enfiler l’autre.

Combien de gouttes d’eau faudrait-il pour me noyer si le drain devait se boucher? Combien de secondes devrais-je affronter avant que l’appartement ne soit complètement submergé? Voir soudain les fondations se fendre et la maison se refermer sur mon appartement. J’imagine que cela n’aurait pas vraiment d’importance. Pourtant, il y aurait une étude à faire. Pourquoi la dernière goutte d’eau qui a tout fait s’écrouler a-t-elle commis ce crime? Raison d’État? Moment de folie? Louve solitaire? Délinquance juvénile d’une simple goutte d’eau? Au mauvais endroit au mauvais moment? Je vois d’ici un panel d’experts se poser la question sur les motifs profonds ayant poussé la goutte d’eau de trop à accomplir son méfait devant un animateur subjugué.

Je prends le bol d’eau du chat et je le remplis. Peut-être que les gouttes d’eau cherchent juste un sens à leur vie. Le chat a entendu un bol faire du bruit. Il rapplique dans la cuisine. Non! Juste de l’eau, mon ami. C’est l’austérité et il faut faire avec. Sinon, fait comme nous et trouve-toi du travail dans le domaine de la souris. Il paraît que d’autres chats on fait la passe dans ce secteur. Pas pour toi, le travail? Je sais. J’ai un chat sur le bien-être social. Un chat qui attend chaque soir son repas comme d’autres le chèque de la fin du mois.

Il est tard, il fait noir dehors. On avançait l’heure pourtant. J’ai décidé de couper l’eau. Je ne veux pas voir le plombier. J’ai acheté une bouteille d’eau. Je vais enfin pouvoir dormir. 

( Merci à mon père pour les idées)

Déroute

« Pourquoi tu gosses? Pourquoi? »

Les sentiers illuminés de ses déroutes s’engouffrent dans les mélancolies alcooliques. Elle ne pouvait que lui prouver sa déraison. Il écrivait des vers pour les desserts de ses courbes qui n’étaient que des illuminations de son cerveau. Il avait dans son sang le goût des moments qui se perdaient dans les mots le long du drap blanc. Pendant les froids que lui offre la vie, le déplaisir des astres, le conformisme et le féminisme empêcheront l’étalement de son désir. Et il pense que peut-être un soir de pleine lune, il pourrait voir l’éternité et connaître le prix des passages immortels et des voyages sans nom. Flottements célestes de son corps en transfert dans les lunes des idéaux. Affranchir son souffle pour un seul baiser volé à ses chastes lèvres. La lumière diffuse d’une seule surprise au matin des pertes de sens. Le prix… Toutes voiles dehors, c’est la montée des ténèbres dans ses os de vampire.

« Prends mon cœur, prends la vie qui ne vaut que cette parcelle de jouissance. Pourquoi tu gosses? Tu étais pourtant agréable… »

Cherchez la cabine à Art Souterrain

Du 28 février 2015 au 15 mars 2015. Art Souterrain, Montréal

Réalisation: Ky Vy Le Duc – Captation vidéo: Thomas Christopherson

Art Souterrain, festival unique en Amérique du Nord, contribue a rendre accessible l’art de pointe à un large public en sortant les œuvres des lieux d’exposition traditionnels. Cette année, Pourquoi jamais a fait partie des exposants des couloirs souterrains du centre ville de Montréal.

Et devinez quoi? L’œuvre interactive « Pour signaler une disparition » (la cabine, pour les intimes) a pris une nouvelle forme afin d‘accueillir dans son antre encore plus de curieux…

www.artsouterrain.com

Nous reconnaissons l’appui du Réseau international Hexagram, un organisme dédié à la recherche-création en arts médiatiques, design, technologie et culture numérique.

Peinture d’un temps ancien

( L’appartement, été 2008)
 
Disjoncter, mon ami le jeune clown
Dans sa cour, il y a une foule de courtisanes
Mais aucune ne semble pouvoir devenir reine
Disjoncter le clown
C’est un être complexe
Sa pensée n’est pas cristallisée
Elle virevolte au vent
Et on peut, si on est chanceux
Voir un peu plus loin
 
Et il y a ceux qui dansent
Et ceux qui rient
Il y a des éclats de lumières sombres
Qui frappent les corridors des esprits
Dans une boîte quelque part
Le  vieux disjoncteur observe la scène
Il est loin sur le front
Une ligne frontière
Il écrit sur du papier noir
Un texte à l’encre bleue
Pour son ancienne fiancée
Restée sur le quai, le temps d’un dernier baiser
 
Une scène, un plan, un horizon
Lentement, la caméra recule
Et prends de la vitesse
Il s’enfonce vers nulle part
Disjoncter le clown
Lui s’efforce encore devant les sourires
Il croit toujours au monde qui l’entoure
Sa déconnexion n’est pas terminée
 
Compte jusqu’à treize
Un, pour le temps qui passe
Deux, pour les peines d’amour
Trois, pour les corridors qui mènent vers ailleurs
Quatre, pour les bonbons roses de nos grand-mères
Cinq, pour l’amour
Six, pour l’art
Sept, pour les oubliés morts au champ d’honneur
Huit, pour les junkies qui marchent dans la nuit
Neuf, pour les vampires qui sucent le sang
Dix, pour ne plus rien comprendre
Onze, un cœur d’enfant
Douze, une amitié
Treize, court-circuit
Disjoncteur disjoncté
 
Il y a une scène de baiser
Sur le balcon quand la foule s’éloigne
Quelques bavardages
Il est tard, les étoiles se couchent
Ce soir, je traverse la nuit en voyageur
Au loin, la citadelle m’attend.

Adieu sans préavis

( Printemps 2000 )

Poète du crépuscule
Mes particules
D’amours désassemblées
Perforent les temps derniers
Et coule le vin sur ses seins
 
Je me fais marcheur des douze saints
Il est minuit moins le quart des apôtres
Devenir le prophète de sa mélancolie
Caresser les images de ses fantaisies
Déguiser mes sombres mensonges
 
Fuir devant la suite qui conduit au néant
S’engouffrer lentement
Dans la pièce au soleil levant
Je m’effrite en lambeaux
Déclassés sous le poids des vitraux
 
Devant la lourdeur des bottes
De son armée d’invasion métallique
Je raccroche mon écharpe
Ajuste mon sourire hérétique
 
C’est la fuite poétique, mathématique

La cristallisation du moment

Il y a des fractions de temps que l’on doit diviser par seconde. L’action et la vitesse défilent alors en image 24 secondes. La voiture de la Sureté du Québec termina sa course dans le stationnement. Le Chauffeur, au même moment, sortit de l’allée avec deux flacons de 40 oz dans les mains. La télévision décida, faute de chance, de projeter le portrait des trois acolytes. Et puis, la porte du dépanneur enclencha le bruit du mobile métallique. La Rêveuse leva les yeux et sortit de la lune devant le Chauffeur qui se dirigeait vers elle. Comme il est beau, se dit-elle. Le policier matricule 14235 entra à son tour et ses yeux allèrent rapidement de la télévision vers la rêveuse et puis lentement, son cerveau compris qu’il avait devant lui l’un des responsables de la prise d’otage à la Banque Centrale Impériale.

La guerre, l’affrontement qui porte l’homme à la victoire ou à la défaite, est un mélange de tactique et de chance. Cette fois, le hasard laissa tomber la bille de métal froide sur la grande roue du destin. C’était le 13 noir. Le numéro chanceux. La Rêveuse abattit le policier d’un seul coup du vieux pompeux de son grand-père. Le Chauffeur ne comprit la situation que lorsque les fragments de balle traversèrent le policier. Le Chauffeur regarda la Rêveuse et un coup de foudre le frappa de plein fouet.

L’Anarchiste, suivi de sa Rebelle, entra à lui aussi dans le dépanneur. Il comprit que la situation n’était peut-être pas sous contrôle. Calmement, il braqua son arme sur la Rêveuse. Le Chauffeur regarda son ami et dit : « Tu ne vois pas que je suis amoureux? Elle vient avec nous. Elle vient de nous sauver la vie. » « Toi, amoureux! », dit la Rebelle. Le Chauffeur la regarda avec mépris. Elle n’avait pas plus que lui une conception romantique de la chose.

Les quatre comparses vidèrent le rayon d’alcool et le coffre du dépanneur. La Mustang avait faim de rouler. L’asphalte noir brûlant offrait une route vers l’enfer digne de ce nom.  La voiture de police explosa au loin. La radio jouait « Paint in Black » des Rolling Stones. La Rêveuse mit sa main sur la main du Chauffeur alors qu’il passait en cinquième vitesse.