Recueil perpétuel

En allant voir ailleurs si j’y suis

Si les choses sont des éclats
Du savoir de l’univers,
Qu’au moins je sois mes propres fragments,
Indéterminé tout autant que multiple.

Fernando Pessoa

Connue de tous, la pratique consistant à lancer une requête d’informations en tapant son propre nom dans un moteur de recherche mène à une évidence : nous existons en plusieurs lieux. Fruit de nos recherches et grappillages en ligne, ce triptyque artistique est construit à partir des archives de nos trois individualités dissoutes dans le cybermagma.


Facebooking

Fragments d’une homonyme belge par Camille(s) Toffoli


Zapping

Damien(s) Thomas à la chaîne


Egogoogling

@utoportraits de Jean-Philippe(s) Boudreau

Perspective(s) d’une rencontre

Ce que les autres pensent, comment ils nous voient, ce qu’ils veulent bien entendre dans nos mots, et ce qui leur échappent aussi ; l’accès aux perceptions des autres, impossible mais à quelque part source d’un désir ambivalent.

Le Dieu de l’ubiquité assiste à la première rencontre entre Simon et Henriette, deux Montréalais qui n’ont en commun que la recherche de l’amour et un serveur qui les fixe pendant qu’ils discutent…

Notes techniques :

Ceci est un premier essai de profiter de HTML 5 pour avoir des animations interactives en utilisant Processing. Au début, le JavaScript précharge toutes les images nécessaires, donc en fonction de votre connection internet, ça pourrait prendre un peu de temps avant que tout s’affiche comme il le faut (normalement moins de 5 sec).
L’oeuvre a été testée avec Chrome, Firefox et Internet Explorer.

La durée totale est de 5 min 40, et il est impossible d’avancer ou de reculer la vidéo. Pour apprécier toutes les perceptions, il faudra donc revoir la vidéo (en rafraichissant le site web, vous reviendrez au début).

Cliquez sur l’image pour ouvrir l’animation (sur laquelle vous pourrez interagir à l’aide de la souris):

Ubiquité Temporelle

Au travers l’Histoire, les éléments éphémères s’effacent dans le bruit du temps, alors que ce qui vit durablement laisse sa trace sur les images du temps.

L’ubiquité n’existe pas que dans l’espace, mais bien dans toutes ses dimensions, tout comme au même endroit vit le passé, le présent et le futur. 

Pour voir le résultat, rendez-vous à ces lieux:

http://www.openprocessing.org/sketch/158719

http://www.openprocessing.org/sketch/158725

http://www.openprocessing.org/sketch/158729

http://www.openprocessing.org/sketch/158728

92 premières neiges

Illustration : Évi Jane Kay Molloy

Le soleil de nuit caressait mes joues creuses.

À la lueur du diamant doré, je me remémorais mes 92 premières neiges.

Le temps semblait s’écouler de plus en plus rapidement dans mes veines.

Bien enfoncée dans mon fauteuil d’acier, j’observais mon reflet briller dans la lucarne de ma chambre.

Une tignasse terne. Des doigts noueux. Un dos vouté.

À la lisière de mon existence, je ne puis m’empêcher de regarder derrière mon épaule. Et si je pouvais un jour revivre ma vie, que ferais-je autrement ?

Si je pouvais verdoyer à nouveau, je prendrais les choses moins au sérieux.

J’oserais embrasser encore plus fougueusement les fortunes de mer, les faux pas et les folies.

Je m’efforcerais de me sustenter uniquement d’ataraxie et mangerais moins de navets.

Si la vie s’élevait devant moi, je ne laisserais pas le fugace et frêle présent s’échapper.

Je suis si grand

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faune urbaine, celui qu’on voit sans vraiment le voir. Je connais mon royaume comme ma poche trouée. J’en parcoeur chaque coins et recoins dans vos heures de fermetures. Je suis au niveau du sol, sous le regard des passants. Je pourrais aussi bien être une roche ou un vieux marteau rouillé. Je suis le roi des ruelles, celui qu’on abat quand il vous dérange.

Je pourrais être ailleurs, je pourrais même être quelqu’un d’autre. Je suis ici, je suis partout à la fois.

Travailleur.

Peut-être que je suis toi qui me regarde avec dédain en me lançant quelques pièces du bout des doigts, me regardant à peine, pressé. Fermant les yeux, espérant que je ne sois plus là au réveil.

Mais moi je reste là, sur mon petit bout de trottoir, toujours le même, beau temps, mauvais temps, à tout les jours du possible… Toi, tu pars et parcours la ville d’un bout à l’autre, tous les matins et tous les soirs, cinq fois par semaine et parfois même davantage… Mais au final…

Toi qui travaille.

Vagabond!

Toi qui s’en va, sac au dos, repousser les frontières de l’ignorance.

J’ai ton visage et tu as le mien. Es-tu meilleur que moi? Peut-être as-tu pris un tournant différent, peut-être as-tu eu la chance que je n’ai pas eue. Je suis aussi le reste d’une âme abandonnée, la conséquence d’une suite de mauvaises décisions.

Étudiant.

Qui sait peut-être hier étais-je celui qui lançais du bout des doigts quelques piécettes en ne regardant pas ce visage qui ne me demandait qu’un peu d’aide, un simple sourire.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la fresque urbaine, dont on fait peu de cas ou qu’on méprise. On me confond avec ces murs gris. Sales. Serais-je un jour assez humain pour vous? Je suis le roi des ruelles, celui qu’on ne remarque pas à moins qu’il vous dérange. Je suis un étranger dans ma propre vie.

Va-nu-pieds.

Hier encore, j’étais cet étudiant qui allait s’emplir la tête de belles idées, de théories. Cet étudiant la tête emplie de rêves, cet étudiant au cœur plein d’espoir et plein d’amour.

J’ai été ce travailleur, celui qui jour après jour s’en va vers sa misère, sans trop penser à soi ni aux autres, sans même regarder autour de lui, comme le mouton qui suit ses congénères dans trop se poser de questions. Sans même se voir là assis par terre en train de demander l’aumône aux passants qui déambulent sans le voir. Ce pouilleux qui vous embête. Qui vous répugne.

Penseur.

On me croit dangereux, parce qu’on ne me connait pas, parce que je n’ai plus de restriction sociales, plus de limite civique, bref, plus rien à perdre de plus que ton mépris… Peut-être que je me retranche dans ce château de carte un peu bancal pour oublier à quel point j’ai mal. Mon air sauvage cache peut-être autre chose. Qui dit qu’hier encore je n’étais pas assis au même restaurant que toi, en train de rire avec ma famille et mes amis.

Rire de ce monde, de cette vie qui s’écoule, de mon temps qui s’écroule.

Toxicomane.

Et si j’étais seulement le fruit pourri de votre imagination?

Payeur de taxe.

Et si ces vêtements dépareillés qui vous paraissent trop grands ne l’étaient que parce que c’est votre esprit qui est trop étroit.

Malade.

Et si j’étais vous, peut-être serais-je moins fou?

N’entendez-vous pas ce cœur qui bat sous la crasse, ce cœur plein d’espoir qui ne demande qu’à recevoir un sourire, l’attention d’un instant, la reconnaissance du statut d’être humain. Parce que j’ai choisi d’être encore de ce monde, même si je suis en marge, je suis ici, dans l’alinéa de la vie.

Bien vivant!

Bien sûr que vous alliez cracher sur mes vidanges avec vos vies d’anges!

Mon cœur se bat pour vivre. L’entendez-vous seulement?

Moi le roi des poubelles, que je suis gauche et veule… Si vous enleviez cette pelure de banane qui cache votre propre égout. Remplacez cet orifice qui ne sert qu’à me vomir votre margouillis.

Je suis ce roi étranger que vous choisissez d’ignorer.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faunesque urbaine qui déambule et colore le paysage, je pourrais aussi bien être un caillou, un vieux débris, même cet outil depuis longtemps oublié, criblé de rouille par un polisson. Je pourrais être votre frère aussi…

Personne n’est à l’abri du sans-abri… La plupart n’ont pas choisi, ils survivent en marge de la vie en attente d’un paradis…

Je suis ce roi des ruelles, celui qu’on abat quand il vous dérange.

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« Avec la force comme alliée, d’autres temps, d’autres lieux tu verras ! » — Yoda

Le grand voyage vers ailleurs qu’il avait entrepris le conduirait-il au désert sans fin? L’homme solitaire marchait le long des lieux qui s’entrelaçaient dans son existence. Absorbé dans les images qui entremêlaient les réalités diffuses. Les signes des passages temporels occupaient toute sa réflexion. Étrangement, ils étaient gravés sur les jardins de son observation. Une école primaire ou les enfants couraient le long des boisés. Jeu enfantin, autobus jaune, neige, hockey et autres souvenirs.

Il eut jadis un mouvement d’euphorie dans sa vie mélangée. Un grand salon ou les festins ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Il était déjà vieux et il savait d’avance où les parcours de ses amis carnavalesques se dirigeaient. Il voyait, il savait et pourtant l’impitoyable et affreuse marque s’affichait toujours. Le compte à rebours, l’ennemi était déjà là. Assis sur son divan en face de lui, il le regardait. C’était un si vieil ennemi que l’homme avait pris l’habitude de ne plus l’écouter. Parfois, dans sa réflexion silencieuse avec ce dernier, ses amis s’approchaient et lui demandaient si tout allait bien. Il n’avait qu’un mouvement réflexe, il se devait d’être rassurant, ils ne pourraient comprendre les mondes que sa vision ouvrait devant lui.

Le mur vert lime affichait une foire, la foule anglaise s’approchait, les canards tournaient le long de l’étang artificiel. Un enfant tentait de trouver le meilleur canard. Et puis le son des manèges qui s’activaient. Elle n’avait aucun sens dans sa vie. Et pourtant elle était là. S’approcha, lui fit une étreinte et soudain, elle disparut. Le salon s’était rempli durant son moment d’absence. La foule s’activait, la musique, le son des amusements, les alcools et les jeux. La grande roue illuminée tournait dans sa tête. La musique, les clowns et les temps s’entrelaçaient.

Il croisait son regard, un déguisement un peu trop éméché. Quelques champignons le rendaient confus. Quelques années plus tard, la vitesse de sa voiture frapperait un arbre dans une courbe, seul et isolé, la mort ferait son œuvre, mais pour l’instant il était heureux et philosophait sur le sens des choses, bien installé sur la table adjacente au baril de bière.

Il entra dans les toilettes, le passage interdit vers l’au-delà s’ouvrit, la lumière diffuse que lui offrit le puits de lumière. Tard dans la nuit, le quatre-roues roulait bien vite dans le dépotoir, les signes s’affichent sur chaque sac de vidanges. Et puis, les arbres, la forêt et dans son milieu les astres l’éblouissent. Il vit une usine délabrée, finalement entouré par des loups. Un à un, dans la lumière, ils venaient lui porter révérence. Il comprenait que non loin de lui, observant en silence, l’ennemi ne pouvait rien, l’heure n’était pas la bonne.

La musique remplit de nouveau son âme. La bouteille de vin était vide. Il sortirait bientôt de son antre. Il devait redevenir l’hôte de sa soirée, celui que l’on s’attendait de trouver, celui-là qui trouvait toujours le moyen de changer les règles du jeu. Il croisa son regard, elle cherchait ce qu’elle pensait avoir trouvé. L’homme ne pouvait pas lui dire que dans quelques années, épuisée d’essayer de remettre en marche un amour perdu depuis des lustres, elle irait se jeter dans l’épuisement de tentatives vaines pour retrouver, un seul instant, le moment qu’elle vivait ce soir.

Soudain, une voiture folle traversa le salon. Il se reconnaît. Nous sommes quelque part, plus tard, bien plus tard, pourchassés par quelques voitures non identifiées. Il traverse une banlieue sans nom, chaque voiture porte un numéro d’un jaune différent. Il roule de plus en plus vite. Les paysages se transforment et les maisons de banlieue se dissolvent. Sa voiture freine. Il abat d’un coup de feu bien précis ses ennemis et s’affale dans le divan, personne ne semble avoir vu le danger.

L’homme se leva, et regarda son corps en mouvement sur la piste de danse. La musique était beaucoup trop forte. Comme d’habitude, les moments d’absences provoquaient des doublons dans les lignes du temps. Une étrange femme fantomatique, habillée en uniforme d’ouvrière lui donna une bière et s’évapora au son du piano.

Quand il sortit de nouveau de sa torpeur, la pièce était vide, les serpentins sur le sol, l’odeur de bière lui donna envie de quitter les lieux. Il sortit, passa devant l’église, il marchait vers le parc. Il termina sa deuxième bouteille de vin sur les tables de pique-nique. Il vit soudain, un vieil homme, canne en main, s’avancer vers lui, le son de sa voix inaudible. Derrière lui, l’homme, l’adversaire, l’ennemi. Le vieil homme s’affala. Le cœur avait lâché.