juillet 2014

D’un ghetto à l’autre

« My nie chcemy ratować życia. Żaden z nas żywy z tego nie wyjdzie. My chcemy ratować ludzką godność »

(« Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d’ici. Nous voulons sauver la dignité humaine »).

Izrael Chaim Wilner – Ghetto de Varsovie 1943 ( poète juif)


« Mais nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir de libération et d’indépendance. Espoir d’une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l’école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d’amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir. »

Mahmoud Darwich ( poète palestinien)

Contes et légendes automatiques

J’écris sur le papier de Damas, des vers, dans l’alcool.

Contes et légendes automatiques.

Sur la route du Nord, on trouve toujours des âmes perdues. Les soirs sans lune, je m’évade dans le creux des vallées. Je redeviens marchand solitaire et les astres s’alignent alors, corsaires. Je franchis la passe de nuit avec ma solitude comme une vieille habitude.

Ce monde n’était pas le mien. Je suis d’ici et pourtant d’ailleurs. Je me perds en certitudes qui se faneront aux crépuscules des rivières canalisées.

Je n’étais qu’un étranger dans mes propres terres. Les habitants ne pouvaient comprendre les chemins que j’avais parcourus, pendant que lentement ils labouraient la terre de leur ennui. Comment pourrais-je libérer les âmes perdues du cimetière des larves chaudes de la chute d’un empire?

Mon âme avait dévoré la plus pure des particules élémentaires. Je cherchais l’église, au moment où les étoiles s’effacent du sol. Quand tous mes possibles se seront évanouis dans des espérances vaines, je descendrai au puits du lac des abîmes en quête d’absolu. Mon âme sera en lambeau et le sang qui coulera sur mon front servira d’encre pour les noirs parchemins. Je commettrai alors le pire des péchés : démasquer l’invisible.

Je sentais le froid du vent des éternités sur mes épaules. L’absence de chaleur était horrible. L’angoisse, la peur de briser les os de ma vie déjà égratignée, celle qui vous prend avant de commettre la tristesse, cette angoisse précise, quand l’épiphanie se révèle. À la vue des esprits des chasseurs Algonquins, je compris qu’il était temps de fuir, car ils soufflaient le bruit des loups. Ils dansaient devant moi comme des lucioles attirées par l’odeur des sacrifices commis dans l’aube démystifiée.

Je quittai la vallée, un jour je serai peut-être ici encore chez moi. Le soleil engouffra l’ambiance, et la vallée s’estompa.

Je suis si grand

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faune urbaine, celui qu’on voit sans vraiment le voir. Je connais mon royaume comme ma poche trouée. J’en parcoeur chaque coins et recoins dans vos heures de fermetures. Je suis au niveau du sol, sous le regard des passants. Je pourrais aussi bien être une roche ou un vieux marteau rouillé. Je suis le roi des ruelles, celui qu’on abat quand il vous dérange.

Je pourrais être ailleurs, je pourrais même être quelqu’un d’autre. Je suis ici, je suis partout à la fois.

Travailleur.

Peut-être que je suis toi qui me regarde avec dédain en me lançant quelques pièces du bout des doigts, me regardant à peine, pressé. Fermant les yeux, espérant que je ne sois plus là au réveil.

Mais moi je reste là, sur mon petit bout de trottoir, toujours le même, beau temps, mauvais temps, à tout les jours du possible… Toi, tu pars et parcours la ville d’un bout à l’autre, tous les matins et tous les soirs, cinq fois par semaine et parfois même davantage… Mais au final…

Toi qui travaille.

Vagabond!

Toi qui s’en va, sac au dos, repousser les frontières de l’ignorance.

J’ai ton visage et tu as le mien. Es-tu meilleur que moi? Peut-être as-tu pris un tournant différent, peut-être as-tu eu la chance que je n’ai pas eue. Je suis aussi le reste d’une âme abandonnée, la conséquence d’une suite de mauvaises décisions.

Étudiant.

Qui sait peut-être hier étais-je celui qui lançais du bout des doigts quelques piécettes en ne regardant pas ce visage qui ne me demandait qu’un peu d’aide, un simple sourire.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la fresque urbaine, dont on fait peu de cas ou qu’on méprise. On me confond avec ces murs gris. Sales. Serais-je un jour assez humain pour vous? Je suis le roi des ruelles, celui qu’on ne remarque pas à moins qu’il vous dérange. Je suis un étranger dans ma propre vie.

Va-nu-pieds.

Hier encore, j’étais cet étudiant qui allait s’emplir la tête de belles idées, de théories. Cet étudiant la tête emplie de rêves, cet étudiant au cœur plein d’espoir et plein d’amour.

J’ai été ce travailleur, celui qui jour après jour s’en va vers sa misère, sans trop penser à soi ni aux autres, sans même regarder autour de lui, comme le mouton qui suit ses congénères dans trop se poser de questions. Sans même se voir là assis par terre en train de demander l’aumône aux passants qui déambulent sans le voir. Ce pouilleux qui vous embête. Qui vous répugne.

Penseur.

On me croit dangereux, parce qu’on ne me connait pas, parce que je n’ai plus de restriction sociales, plus de limite civique, bref, plus rien à perdre de plus que ton mépris… Peut-être que je me retranche dans ce château de carte un peu bancal pour oublier à quel point j’ai mal. Mon air sauvage cache peut-être autre chose. Qui dit qu’hier encore je n’étais pas assis au même restaurant que toi, en train de rire avec ma famille et mes amis.

Rire de ce monde, de cette vie qui s’écoule, de mon temps qui s’écroule.

Toxicomane.

Et si j’étais seulement le fruit pourri de votre imagination?

Payeur de taxe.

Et si ces vêtements dépareillés qui vous paraissent trop grands ne l’étaient que parce que c’est votre esprit qui est trop étroit.

Malade.

Et si j’étais vous, peut-être serais-je moins fou?

N’entendez-vous pas ce cœur qui bat sous la crasse, ce cœur plein d’espoir qui ne demande qu’à recevoir un sourire, l’attention d’un instant, la reconnaissance du statut d’être humain. Parce que j’ai choisi d’être encore de ce monde, même si je suis en marge, je suis ici, dans l’alinéa de la vie.

Bien vivant!

Bien sûr que vous alliez cracher sur mes vidanges avec vos vies d’anges!

Mon cœur se bat pour vivre. L’entendez-vous seulement?

Moi le roi des poubelles, que je suis gauche et veule… Si vous enleviez cette pelure de banane qui cache votre propre égout. Remplacez cet orifice qui ne sert qu’à me vomir votre margouillis.

Je suis ce roi étranger que vous choisissez d’ignorer.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faunesque urbaine qui déambule et colore le paysage, je pourrais aussi bien être un caillou, un vieux débris, même cet outil depuis longtemps oublié, criblé de rouille par un polisson. Je pourrais être votre frère aussi…

Personne n’est à l’abri du sans-abri… La plupart n’ont pas choisi, ils survivent en marge de la vie en attente d’un paradis…

Je suis ce roi des ruelles, celui qu’on abat quand il vous dérange.