Moment publicitaire

Comme un doux son d’apocalypse, l’écho des pas gravait l’espace de la pièce. Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que vous voulez dire? Il semble qu’un léger malentendu affecte les syllabes lorsque vous tentez de me faire comprendre l’étendue des valeurs universelles qui se multiplient dans l’ordre logique de votre raisonnement. Il m’apparaît clairement comme impossible de souscrire aux apitoiements de votre être étalés ici. Il n’y a pas de malentendus, il y a des certitudes qui explosent le long de la vitre et votre logique non plus ne pourra pas vraiment résister très longtemps. Il n’y a qu’une chose de certaine : une bouteille de vodka ne se remplit pas. Et puis mon attention fut de nouveau attirée par son regard carnavalesque, sa démarche loufoque, son rire détendu, son ironie sans faille et surtout ses caresses poétiquement poussiéreuses. Bon d’accord, il faut bien l’admettre, nous nous sommes plantés. Fallait-il peut-être prendre la peine de dégriser quelque peu avant de commettre l’irréparable. Je ne vois pas pourquoi vous cherchez encore à fuir, ils sont déjà partout. La pièce est encerclée et dans quelques secondes, que dis-je, dans quelques microsecondes, la porte risque de voler en éclat. Mais nous voulions cela, non? Nous voulions absolument y être pour vivre ce seul et unique moment d’existence qui se cristallise, mais ils n’ont rien compris. Ils ont voulu rendre ce moment télésatellitaire, il voulait que cet instant soit dans l’espace pour leur permettre de vendre de la publicité. Un animateur en costume trois-pièces et une animatrice ancienne « top model » comme vedette d’un téléroman sur le pourquoi du comment. Il leur fallait donc mettre toute la gomme.

Dans le paradoxe de la fin des temps ou de la chute, le moment révolutionnaire est complètement détruit lorsqu’il se déploie dans l’espace. Il devient moment publicitaire. La machine l’absorbe et il devient marchandise de consommation, comme un tube de dentifrice, une marque de voiture ou encore un nouveau divan modulaire fabriqué en Chine avec un nom suédois. Ma chérie, nous allons dans quelques secondes devenir la première page d’un journal qui offrira la bande-annonce sous notre photo à la première compagnie marchande de passage. Ceux-ci sans aucune gêne s’annonceront avec nous. En fait, cela n’aura vraiment aucune importance. Voilà donc aussi toute la différence entre vous et moi. Je suis ici parce que je crois en vous et non parce que je pense que la situation changera grâce à un appel grandiose à la résistance du prolétariat. Pour moi, cela n’a aucune espèce d’intérêt et seule l’expérience pour l’expérience m’importe. Nous sommes la suite infinie du processus publicitaire. Nous sommes une marque de commerce, nous sommes une statistique de « focus group ». Que pense la génération postrévolutionnaire de son idéal tourmenté? L’animateur se retourne avec son sourire en dents refaites par un dentiste blasé qui trompe sa femme avec une étudiante, danseuse dans ses temps libres. Et il ose nous accuser du haut de sa chaire de prêtre « New Age ». Il faudra faire une étude statistique, convoquer le centre communautaire local, accorder à une intervenante bardée d’une maîtrise en anthropologie et une jolie paire de seins refaits par son amoureux qui l’aimait vraiment beaucoup, mais qui trouvait ses seins désespérément trop petits, mais je divague encore. Il faut me le rappeler, ma chère, je divague toujours un peu quand je parle trop. Elle trouvait, en effet, que je parlais trop. Il faudra bien lui prouver le contraire sinon je serai bientôt perçu comme tous les autres.

Elle regarda le banquier, me fit un sourire inoubliable et lui explosa la cervelle à l’aide de son bâton de baseball. Les otages, je crois, avaient compris qu’ils étaient près de la fin de la partie. Dehors, les sirènes de police s’activèrent. Dieu que je l’aimais cette fille.