décembre 2014

L’avaleuse (Labyrinthe VIII)

Et dans un moment de flottement entre deux temps, je descendis l’escalier. Ce dernier semblait étrangement mou et difforme. Lorsque j’arrivai au bout des marches avec la plus grande difficulté un gouffre s’ouvrit devant moi, la musique qui émanait de la salle de bal s’arrêta. Les colonnes de la pièce se mirent à fondre. L’impératrice était là. Elle n’avait plus sa forme normale. La foule des convives était en état de panique. Pour la première fois, les lois de l’équilibre du Labyrinthe semblaient être déstabilisées. La forme sans âme de l’impératrice avançait vers moi.

Le gouffre s’agrandit, le temple fut bientôt absorbé et les débris remplacés par un champ de fleurs fanées, d’arbres calcinés et de rochers usés par le temps. L’impératrice s’était transformée et le labyrinthe se consumait. L’impératrice était devenue une avaleuse. Elle avalait toutes les parcelles des bonheurs, toutes les joies, toutes les peines, toutes les passions, et ce, jusqu’au dernier mot d’amour.

Les pensées de ma tête s’évaporaient. Les nuages devenaient pourpres, marron, jaunes et noirs; terriblement noire.

Le Labyrinthe ne tolérait pas cette résistance. Il ne pouvait concevoir qu’un esprit, prisonnier de sa personne, puisse se rebeller contre sa fonction de prison éternelle. Le passage que j’avais ouvert n’était pas son œuvre, c’était la mienne. Alors, il déployait son arme favorite et était prêt à sacrifier l’ensemble des habitants pour assouvir sa soif d’autorité. L’avaleuse s’attaqua à la lumière, je ne ressentais plus rien. La passion violente s’évaporait en bruine du matin des rosées.

L’avaleuse n’avait aucune pitié, elle avait un ego sans fin et servait le Labyrinthe. Je me demandai si je n’aurais pas mieux fait d’accepter mon sort et de longer sans fin les corridors du Labyrinthe. On m’avait avisé de ne pas me rendre au centre. L’avaleuse s’attaquait maintenant aux mots qui composaient mon cerveau. Soudain, dans ma poche le triangle d’invitation s’activa…

La rêveuse

Comme je marchais dans les limbes des désolations, les ruines des déchirures affectaient mes regards et de mes yeux perlaient les rêves de mondes nouveaux. Un cerveau en tête d’abricot et des mousses folles, je m’élevais grandiose.

Je n’avais d’espoir que pour un seul sourire. J’étais perdue au firmament du désir. Quitter ce monde aux idées fixes, mortes et noires. Je rêvais d’aventure qui d’un seul trait effacerait les angoisses de mes canaux interstellaires.

Je n’étais qu’une enfant, dans un monde de vieux, qui attendait les clients perdus dans la nuit ici à l’Escale, commerce du milieu et du bout du monde coincé entre deux maringouins et quelques sapins.

Alors que j’étais perdue dans mes rêveries et que mon monde réel me tuait de son ennui quotidien, j’entendis un bruit au loin. Le moteur rugissant d’une Mustang dont le son de la décélération m’indiquait que j’aurais enfin de la compagnie, mais j’étais loin de me douter que celle-ci m’emporterait avec elle.

***

Bon, on va devoir s’arrêter et faire le plein. Il dort toujours, elle aussi. Le repos du guerrier.

Le Chauffeur arrêta la voiture devant la pompe 68 de l’Escale. La nuit était noire et sans failles. Quand le moteur s’arrêta de gronder, chérie se reposait et le chant des criquets s’amplifia. Le Nord dans toute sa splendeur.

Bon, le plein est fait. Je pense que je vais profiter du silence et de notre avance pour acheter un peu d’alcool et de bouffe. Tu m’attends ici, Chérie. Je reviens.

Le magasin offrait l’ensemble des commodités. Le Chauffeur entra. Une jeune fille d’environ dix-neuf ans perdue dans ses rêveries lui fit un grand sourire. Le Chauffeur ne lui porta pas attention et se dirigea d’un pas déterminé vers le frigo à bière.

Furtivement, une voiture de la Sureté du Québec se gara à la pompe 66.

Le chauffeur

Fallait bien que je vienne les sortir de la merde mes deux tourtereaux. L’amour comme ils disent. Elle a vraiment l’air de prendre son pied. Va falloir qu’elle le lâche parce qu’il ne tire plus juste. On ne peut pas tirer du semi-automatique, semer les cochons et baiser sur la banquette arrière en même temps, ma belle. Bon, c’est le temps d’utiliser de la technique et de semer cette bande de porcs.

L’idée aussi de voler une banque après avoir dévalisé l’alcool du bar hier soir. C’était quoi le nom du bar? Ah oui, je me souviens : le Détour rouge. La serveuse valait vraiment le détour en effet. Voler une banque et oublier que votre chauffeur s’est endormi saoul mort sur le divan de la chambre cent douze du motel au Cap Diamant rue De Lorimier. J’espère juste que mon bébé à moi n’aura pas de blessure mortelle. Avoir fait un plan, j’aurais volé un autre char. Le problème avec un anarchiste, c’est qu’il fait toujours juste à sa tête. L’autre problème quand il est avec sa rebelle, c’est qu’il doit ensuite donner un sens au chaos que sa tête de fou vient de créer afin de faire de l’effet ou du style comme il dit lui-même.

Allez, chérie! On va l’atteindre ensemble le 200 kilomètres à l’heure. Finalement, j’ai très bien fait d’amener chérie avec moi, car je pense qu’ils n’ont pas prévu de billets de retour. On va rouler et mettre de la distance entre le monde et notre monde. La cassure ne va pas se refermer. Bon, elle est où cette bouteille?

***

La voiture accélère. Dans un espace de temps qui figure sur cette ligne au milieu de la route comme dans celle de la vie, la Mustang engrange les kilomètres. Les voitures de police n’arrivent pas à suivre, faut dire que pour un gars de région, une voiture c’est pire qu’une femme. Elle doit être parfaite, sans failles et toujours répondre au doigt et l’œil. Le gouvernement aurait dû refaire une commande de voitures de poursuite, mais bon, les amis du régime doivent se la couler douce sur un yacht avec le pognon du budget en question.

Route du Nord. Forêts, lacs, rivières et villages dégagent du paysage les clochards, les édifices sombres et les filles froides. Les sirènes ont perdu la guerre. Le silence s’installe. Sur la banquette, l’anarchiste et sa douce rebelle dorment paisiblement maintenant. Le chauffeur, roule droit devant lui, direction l’Abitibi.

En allant voir ailleurs si j’y suis

Si les choses sont des éclats
Du savoir de l’univers,
Qu’au moins je sois mes propres fragments,
Indéterminé tout autant que multiple.

Fernando Pessoa

Connue de tous, la pratique consistant à lancer une requête d’informations en tapant son propre nom dans un moteur de recherche mène à une évidence : nous existons en plusieurs lieux. Fruit de nos recherches et grappillages en ligne, ce triptyque artistique est construit à partir des archives de nos trois individualités dissoutes dans le cybermagma.


Facebooking

Fragments d’une homonyme belge par Camille(s) Toffoli


Zapping

Damien(s) Thomas à la chaîne


Egogoogling

@utoportraits de Jean-Philippe(s) Boudreau

Intercalaire

Un brin d’amertume dans le regard. Il fait froid dehors. Vent glacial d’hiver, mais nous sommes pourtant aux portes de l’enfer. Non, mais quand même, il ne faudrait pas se prendre au sérieux. La cigarette se consume et au loin s’illumine la croix du Mont-Royal. La croix est fixe et regarde l’île depuis je ne sais combien d’années. Point de repère du corsaire, chaque fois que l’on fume dehors dans la neige qui frappe les vitres d’un appartement. On pourrait être sur le bord de la mer, sur une île, le décor serait plus sympathique. Combien de fois ai-je fumé ainsi seul? Toujours avec l’immense plaisir de me retrouver quelques minutes pour faire le vide.

Je rêve à mes personnages, coincés dans leur voiture avec la police au cul. J’essaie de m’accrocher au moment présent et de ne pas trop faire de projections. Le tableau affiche l’heure des départs. Je cherche surtout l’heure des arrivées. Il me semble que la matrice n’a pas produit de distorsion depuis un bon bout de temps. Le vin a un goût étrange, ça doit être le mélange de bouffe, de cigarette et de gin avalé plus tôt.

Il y a la musique et les toasts que l’on porte. Les départs que l’on fête et la joie des nouveaux arrivants. Ils n’ont pas l’air faits forts nos amis de passage. Je ne pense pas qu’ils vont franchir avec succès la vallée russe. Moi, j’ai pris congé. Les pauvres, ils n’ont rien pour se défendre, même pas d’historique.

J’ai vraiment merdé sur ce coup-là.Faut vraiment que je ferme ma gueule. Pas les moyens d’avoir d’autres interrogations. J’enfile mon déguisement de politicien si pratique dans les périodes où je veux sauvegarder les apparences. Faut que je calme les démons qui harcèlent mon cerveau.

Je réalise surtout que je suis dans ce que Burroughs avait baptisé l’interzone. L’interzone entre deux mondes. Un intercalaire. Quand je suis assis dans la pièce, je perçois des variables possibles dans la réalité que je définis par écrit. Je modifie les variables pour créer de l’effet. Mais les effets restent prisonniés dans l’interzone, je n’arrive à rien matérialiser. J’ai toujours l’impression de cabotiner dans mon rôle.

Bon, allez! Passe-moi donc le Scotch, novembre achève. De retour au programme principal.